Okja
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Okja

film de Bong Joon-Ho (2017)

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Une critique virulente mais à l'aspect étrange

Il est certain qu’à l’époque de sa diffusion (lors du Festival de Cannes 2017), Okja a fait polémique dans le domaine du septième art. Et pour cause, le film, étant l’un des fers de lance d’une plate-forme telle que Netflix (qui ne sort pas ses projets en salles) avait-il le droit de faire partie de la compétition officielle ? Profitant également de l’occasion pour pointer du doigt le fait que des réalisateurs talentueux rejoignent de plus en plus le concept (dont Martin Scorsese avec le futur et très attendu The Irishman), au risque de causer ce qui est pour l'instant annoncé comme la mort du cinéma. Celle qui se limiterait à apprécier un film via le petit écran plutôt que le grand, ce dernier souffrant en ce moment même d’une baisse de fréquentation non dissimulée. Certes, la polémique à de quoi faire débat et ce dernier mérite vraiment que l’on si attarde. Mais je m’arrêterai là sur le sujet, car il n’en sera pas ici question. Mais plutôt de la critique du nouveau long-métrage de Bong Joon-ho (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer), un titre de 2017 qu’il ne faut avoir loupé sous aucun prétexte ! Et ce même si le réalisateur coréen a su nous livrer bien plus marquant par le passé.


Car ce qui pourra le plus dérouter avec Okja, c’est aucun doute le ton qu’il aborde pendant ses deux heures de visionnage. Ou plutôt des changements de tons qu’il opère de temps en temps alors que son intrigue continue de se dérouler. D’un côté, nous avons cette histoire d’amitié entre une gamine et un « cochon transgénique », empli de naïveté, de candeur pleinement assumées, renforcée par l’aspect tout mignon et gentil dudit animal. Un aspect du film qui fait également la part belle à la nature en général, qui n’est pas sans rappeler les œuvres de Hayao Miyazaki. De l’autre, nous avons une dénonciation virulente de la société de consommation ainsi que du traitement des animaux destinés à finir dans nos assiettes, se traduisant par des séquences beaucoup plus sombres (à la limite de l’insupportable, comme en témoigne celle où Okja se fait « maltraiter » par le personnage de Wilcox). Cassant littéralement avec la féerie et la gentillesse de l’amitié décrite ci-dessus, au point d’offrir une atmosphère au combien dépressive et malsaine. Et au milieu de tout cela vient se greffer une aventure à la Spielberg qui, par le biais de personnages écolos (les membres d’une association se battant pour la cause animale), jouit de quelques scènes d’action assez mouvementée, en mode course-poursuite rondement menée avec un enfant comme référence principale (ici, la fillette voulant récupérer son cochon). Sans oublier que le tout fourmille de personnages hauts en couleurs (Lucy Mirando, Johnny Wilcox…) et pour le moins étranges (celui de Jay, oscillant entre inquiétude par son allure glaciale et confiance par ses gestes). C’est d’ailleurs cette dernière qualification qui qualifierait le mieux Okja : un long-métrage empli d’étrangeté qui pourra en dérouter plus d’un. Il suffit de voir le happy end « champêtre » qui nous est proposé, survenant juste après une scène d’abattoir d’une violence et d’une puissance déchirantes, pour s’en rendre compte !


Mais si vous arrivez à faire fi de cela, vous parviendrez à apprécier pleinement ce long-métrage, et à en voir les nombreuses qualités qui en font un titre vraiment marquant de cette année 2017. La première chose étant que, malgré ses balancements entre plusieurs tons et l’étrangeté de son histoire, Bong Joon-ho parvient sans mal à construire un univers diablement crédible, et ce de bout en bout. Il y a bien évidemment les effets spéciaux (bluffants pour une production à 50 millions de dollars, et qui ne soit pas hollywoodienne qui plus est !) mais c’est surtout par la direction d’acteurs, vraiment impressionnantes (Tilda Swinton impériale comme à son habitude, Paul Dano glaçant de naturel, Jake Gyllenhaal délirant comme il ne l’a jamais été, la jeune Ahn Seo-hyeon adorable au possible), et le talent de son cinéaste qui n’est plus à démontrer. Ce dernier arrivant à donner du panache à une scène de course-poursuite avec savoir-faire, saupoudrée d’une petite touche d’humour bienvenue mais surtout d’une tension palpable. À nous toucher en plein cœur par le biais de moments d’une cruauté aussi douloureuse qu’un uppercut distribué sans retenue, de séquences émouvantes que feront verser sans aucune difficulté une petite larme. Et à nous émerveiller en nous rappelant que, bien qu’il y ait l’horreur du monde réel (l’industrialisation, la connerie humaine, le show biz…), il reste bien évidemment la beauté et la poésie de la nature, ainsi que la simplicité de la vie, pour nous délivrer tendresse, bonne humeur et émerveillement. Car s’il ne fait que switcher entre les tons, Bong Joon-ho parvient néanmoins à les rendre captivants et à nous attraper pour nous tenir en haleine jusqu’au générique de fin.


Et le plus important qu’il faut également retenir, c’est le fait que le réalisateur, avec une intrigue aussi étrange, met quand même dans le mille dans son ambition. Celle de dresser une critique de notre société de consommation, qui pousse à l’élaboration en masse d’OGMs (les fameux cochons) et à la naissance de multinationales sans scrupule ne pensant qu’à en tirer des bénéfices malgré les éventuels effets secondaires (Mirando fait d’office référence à Mosanto). Une critique qui s’attaque également aux conditions des animaux d’élevage, parqués et maltraités de manière bien inhumaine, jusqu’à être abattus de façon bien détachée et sordide. Une critique du milieu du show business mettant le doigt sur le côté éphémère d’une carrière qui peut basculer du jour au lendemain si l’on se détache de ce qui fait son succès, d’un rôle qui a fait sa renommée (le fait que Wilcox soit catalogué à refaire son personnage connu du grand public pour la promotion des cochons de Mirando, au risque de tomber dans l’oubli s’il ne le fait pas). Et enfin une critique, chère au réalisateur, du choc des cultures qui n’hésite nullement à faire un face-à-face entre cette petite fille et son grand-père, éleveurs et vivant dans un cadre calme et apaisant, et le côté austère de la grande ville. Mais qui se traduit également par l’incompréhension entre les deux camps opposés que met en valeur le film : les Américains, grandiloquents, fuyant l’effort et qui se veulent puissants, et les Coréens, bien plus posés, travailleurs et admiratifs de ce qui les entourent. Par là, nous pouvons y voir une critique plutôt acide du système hollywoodien dépeint par Bong Joon-ho, le réalisateur ayant eu une expérience plutôt houleuse avec ce dernier (avec Harvey Weinstein lors de l’exploitation de Snowpiercer). Un joli pied de nez qui se présente comme un duel entre cinéma indépendant et grosses productions, que le statut d’Okja vient affirmer (le fait qu’il s’agisse d’un film Netflix, qui prône la liberté artistique de ses réalisateurs contrairement aux produits hollywoodiens à l’heure actuelle). Bref, une critique sans langue de bois et constructive de bout en bout !


Si dès ses premières secondes Okja peut être assez difficile à être captivant de par son étrangeté et son atmosphère changeante, ce conte (car tel est finalement le genre qui qualifierait le mieux le film) fait preuve d’une très grande maîtrise dans sa cohérence, son intrigue et dans ce qu’il entreprend. Car si l’on parvient à aller au-delà de la première impression, on découvre une œuvre très riche qu’il faut voir. Peu importe la polémique qui l’a entouré, il s’agit d’un long-métrage à ne pas manquer et ce sous aucun prétexte ! À montrer pour le travail réalisé dessus. Pour les nombreux messages qu’il véhicule. Et là où je vais me montrer personnel sur le sujet Netflix, c’est le fait qu’il va être quasiment impossible de (re)découvrir le film autre que par le téléchargement (pas de DVD/Blu-ray, pas de (re)sortie au cinéma…). Et c’est vraiment dommage…

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