Cette histoire positionnée au tout début du cinéma parlant, en abordant l'éducation artistique d'un serviteur musicien en herbe auprès d'une joueuse exceptionnelle de koto et de shamise en même temps que leur relation tout en nuances filant vers le mélodrame puissant, se situe étonnamment entre le cinéma de Kenji Mizoguchi et celui de Yasuzō Masumura. D'un côté il y a Okoto, la maîtresse quelque peu autoritaire qui est aveugle depuis l'âge de 9 ans, et de l'autre Sasuke, le grand timide qui se dévoue corps et âme pour celle qui lui a laissé une chance à travers l'édification musicale.
Entre les deux naîtra une relation très inhabituelle, presque impossible entre la musicienne brillante et le fidèle serviteur. Jamais leur rapport ne s'aventurera au-delà du cadre de l'amour platonique et pourtant, son intensité crèvera l'écran. C'est notamment le cas lors d'une magnifique séquence sur les toits, avec l'allégorie des oiseaux en cage à la fois poétique et émouvante, qui ne brille pas par sa subtilité mais qui libère une certaine mélancolie. La séquence de l'agression nocturne, également, vaut le détour de par son intensité et dans ce qu'elle scellera leur sort de manière éminemment tragique.
Il faut reconnaître à Kinuyo Tanaka le talent de son interprétation, yeux fermés du début à la fin, avec une gestuelle très particulière qui la rend inaccessible. La situation finale, dans laquelle elle refusera de montrer son visage à Sasuke qui en suivant se rendra aveugle pour emporter le souvenir intact de la beauté de sa maîtresse, est à inscrire dans les grands moments mélodramatiques — sans toutefois atteindre le niveau d'un Masumura avec Ayako Wakao dans "La Femme de Seisaku" ou "Confessions d'une épouse" par exemple. Après l'inversion des rapports traditionnels de l'époque, avec la maîtresse forte et cruelle et le serviteur faible et aimable, leur geste d'isolement dans la cécité (contrainte pour elle et volontaire pour lui) clot le film sur une très belle note dramatique.