Avant-hier, je ne savais rien d'Oleanna et pas beaucoup plus de la carrière de David Mamet. Bien sûr, je connaissais le nom de ce dramaturge, avais vu quelques films dont il était le scénariste (les hautement recommandables The Verdict et Glengarry Ross) et savais qu'il avait une carrière pas inintéressante de réalisateur mais c'était bien tout ce que je pouvais en dire. Le film dont je viens aujourd'hui vanter les mérites est en plus de ça beaucoup moins connu que les réputés Homicide, La prisonnière espagnole et Engrenages. C'est ce qui justifie ma critique.
Quasi huis-clos, Oleanna est l'adaptation d'une pièce de théâtre écrite par Mamet lui-même. Comme pour le 12 hommes en colère de Lumet, on ne se dit jamais négativement qu'on a affaire à du théâtre filmé. Le film est très écrit, certes. Les péripéties passent principalement par la parole. Mais comment cela pourrait-il en être autrement avec des dialogues aussi brillamment écrits ? La gestion de l'espace, les ellipses, le montage, les mouvements de caméra, participent aussi très largement à ce sentiment d'oppression qui nous saisit au tout début du film et ne nous quitte que très rarement.
C'est l'histoire d'un prof de fac dans la force de l'âge (Willam H. Macy, magistral) et d'une étudiante un brin perdue (Debra Eisenstadt, bluffante pour son premier rôle). C'est aussi et surtout l'histoire d'un affrontement verbal et idéologique qui paraît dans un premier temps inégal entre un homme expérimenté, brillant et sûr de sa force (jusqu'à l'excès) et d'une élève timide, empruntée et ayant des difficultés importantes de compréhension.
Sauf que le film décide de rebattre régulièrement, avec cohérence et intelligence. Il nous donne à réfléchir sur des sujets aussi divers que l'éducation (et tout ce que cela comporte : les notations, le rapport maître/élève, l'intérêt des études supérieures, les raisons parfois un peu plus inavouables qui nous poussent à faire ou ne pas faire tel choix de cursus) ou encore les rapports dominants/dominés, hommes/femmes, classe sup'/classe populaire.
Alors que l'on peut prendre le parti de l'un ou de l'autre, nos préjugés et/ou nos partis pris vacillent très régulièrement. Et si le réalisateur prend (à mon avis) davantage la défense de l'un au détriment de l'autre, il ne le fait jamais avec manichéisme et légèreté. Les deux personnages en prennent pour leur grade. Il nous est proposé un diaporama de la société telle qu'elle était en 1992 aux USA. Mais 1992 aux USA, c'est quasiment aujourd'hui en France sur pas mal de points et là aussi, il est aisé de faire des parallèles. Bien plus que de savoir de quel côté l'on se penche, il est probablement nécessaire de s'inquiéter de la rupture du dialogue, que cette rupture soit voulue ou involontaire, d'ailleurs. Cette œuvre offre bien plus de questions qu'il ne propose de réponses et c'est très bien ainsi.
Oleanna est un ping-pong verbal brillant, profond, non-manichéen et prêtant à débat sur des sujets qui nous concernent tous. Encore un réalisateur qui me donne envie de découvrir toute sa filmographie. J'en ai marre, je vais devoir mourir à 130 ans pour découvrir ce qui me fait saliver. Et si c'est une très bonne nouvelle, on ne peut pas dire que le temps soit un allié de notre très fugace condition d'être humain.