Eté 1962, Finlande.
Olli Mäki, boxeur surnommé le « boulanger kokkola » du fait de son ascension dans le domaine principalement amateur de la boxe, se prépare pour le titre de champion du monde face à l’américain Davey Moore. Soutenu par son ami et manageur qui gère également les financements, sponsors, médias et autres démarchages nécessaire au professionnalisme alors balbutiant du secteur sportif, Olli Mäki est filmé – à la fois par le dispositif nous donnant à voir le film mais également par une équipe documentaire dans la narration du film lui-même – lors de sa préparation jusqu’à l’ultime combat. L’enjeu est grand, et on pourrait croire qu’Olli Mäki mette sa vie entre parenthèse pour se concentrer sur l’objectif du match. Sauf que les aléas de la vie en décident autrement : notre héros tombe amoureux. « Le moment est mal choisi », comme l’indique l’entraîneur. Ce premier film du réalisateur Juho Kuosmanen trace alors une dualité entre l’aspiration à un bonheur quotidien loin des regards et la quête d’une victoire portée par un pays tout entier.
D’un côté, il y a les flashs, la foule, l’empressement, l’ultra-présence du manager et la pression qui monte ; la nécessité de s’entraîner, dans des conditions souvent difficiles, et de tailler son corps pour la bataille. Un corps qui, en plus de devoir maximiser ses capacités sportives spécifiques à la boxe, doit aussi s’amincir pour atteindre le « poids plume » dans lequel a été fixé le combat. Plus l’entraînement avance, s’intensifie, et plus le corps d’Olli Maki s’affaiblit, à force de saunas en vêtements d’hiver, de régime radical et de sport quotidien. C’est ainsi que la tension monte et que la pression se fait de plus en plus forte ; une pression non seulement physique, mais aussi mentale et sociale. Olli Mäki doit en effet faire face au poids des gens qui le soutiennent et qui ont placé en lui l’espoir du héros forcément gagnant. Les financeurs, les documentaristes, les politiques, son entraîneur/manager : le boxeur est quotidiennement mis en tension, sous les lumières des projecteurs. C’est justement ce qu’Olli Mäki, passionné de boxe mais si peu à l’aise avec ce système de starification qu’il doit subir, supporte le moins. Ces lumières lui font d’ailleurs perdre rapidement le combat : « je n’y voyais rien ».
C’est que notre personnage principal a davantage l’étoffe d’un anti-héros que celle du boxeur vainqueur qu’on essaye de lui faire pourvoir. Le film insiste sur la personnalité tout entière d’Olli Mäki et non seulement son rapport au contexte du match et du titre de champion du monde. Là est la force du long-métrage, qui nous offre la joie de connaître et d’apprécier une personnalité somme toute ordinaire, et même discrète et quelque peu maladroite, d’une innocence touchante et tout en contradiction avec la stature de super-héros que l’on voudrait donner à un futur champion de boxe. Olli Mäki est discret et réservé, ses regards sont timides, de même que son sourire en coin. Ce n’est que lorsqu’il voit son amoureuse que son visage s’éclaire, et qu’on le voit nous-mêmes s’ouvrir et s’épanouir. Cette humanité à l’écran est renforcée par le personnage même de l’amoureuse, une douce et jeune femme jouée par Oona Airola, qui illumine totalement l’écran à chacune de ses apparitions et ses sourires.
Le film est par ailleurs particulièrement lumineux, ce qui peut étonner du fait du choix du noir et blanc. Un choix qui n’est pas anodin, puisqu’il nous transporte plus facilement dans l’univers rétro des années 60 et dans le cadre à première vue historique, mais finalement intemporel car tout simplement humain : l’utilisation du noir et blanc accentue surtout les ombres des visages et fait rayonner les sourires à l’écran.
Olli Mäki aurait pu être film sur le sport, sur un combat : mais le destin de son héros détourne cet axe pour mettre en valeur les joies du quotidien à travers un dualisme en face des ambitions des concours sportifs, de l’ascension sociale. Se promener dans les foires, manger une gaufre, courir dans les bois, pédaler dans les flaques d’eaux… C’est cette vision du bonheur qu’on nous propose, et pour laquelle Olli Maki a tranché ; perdre le titre de champion du monde lui a permis de le conforter dans ce simple mais beau choix de vie.
Article publié le 16.11.2016 sur carnetdart.com