Cela faisait près de 25 ans que Quentin Tarantino n’avait plus présenté un film sur la croisette au festival de Cannes. Ceux qui ont tenu sur ces 25 ans se souviennent encore de la remise de la palme d’or à Pulp Fiction, au doigt d’honneur fait par Quentin Tarantino à une femme qui insultait son film durant la remise, et surtout du film. Entre temps, il y a un énorme passif qui s’est constitué durant sa carrière et un fantasme de cinéphile et de cinéphage de plus en plus assumé au fil de sa filmographie, en témoigne son passage du film de vengeance au film Grindhouse, au film de guerre uchronique avant d’assumer entièrement sa passion pour le western avec l’extasiant Django Unchained et le glaçant The Hateful Eight.
Il est surprenant d’ailleurs que l’ami QT n’ait pas abordé plus tôt le Hollywood de la fin des années 60 tant ses films puisent une grosse partie du cinéma de cette période pour mieux les diluer et les assimiler dans ses films tout en imposant toujours sa personnalité sans se noyer dans des références qui lui tiennent à cœur (en excluant Le Boulevard de la mort qui reste, selon moi, le seul film intrusif de sa filmographie). De même qu’il était intrigant de voir comment Tarantino allait aborder un sujet nettement moins cruel et impitoyable que son huitième long-métrage, mais laissant toujours léviter un doute sur les événements présentés et leur déroulé (notamment la présence de Sharon Tate dont la fin aura été monstrueuse pour elle et son enfant dans les faits réels).
On pourra jauger de l’amour que porte pour cette période durant les premières minutes : présentant un feuilleton de western aussi vieux jeu que volontairement caricatural dans son écriture et sa mise en scène ainsi que la performance taciturnesque et endurci de son héros Cahill joué par Rick Dalton et doublé par son cascadeur Cliff Booth (tout deux des inspirations de stars de l’époque, notamment Burt Reynolds pour Rick Dalton dont les similitudes se voient avec la tournure qu’a pris la carrière du véritable acteur Reynolds à cette période). Avant d’enchaîner sur un plan-séquence en couleur, la direction de la photo étant de nouveau confié au partenaire de toujours de QT, Robert Richardson, et nous plongeant dans un train train quotidien plus compliqué qu’il ne l’est pour la star se considérant comme has-been, en mal de succès et de renouveau, et son compère cascadeur techniquement au chômage mais plus pépère.
Et c’est à partir de là que ce film prend vie : Tarantino a grandi dans cette période entre feuilleton et film du Nouvel Hollywood et démontre petit à petit une admiration et une profonde empathie pour des figures dépassés par un système de production et une rythme ou ils n’arrivent plus à s’identifier. Nous présentant en Rick Dalton un acteur de talent portée sur la boisson angoissée par la tournure que prend sa carrière sur le déclin et réduit à des rôles d’antagoniste dans des feuilletons en masse, et en Cliff une antithèse psychologique de Rick sur ce plan car prenant sa traversée du désert professionnel avec un lâcher pied et un train de vie désargenté menant tant bien à la sympathie qu’au rire avec ce bonhomme. Le code du Buddy Movie est repris pour faire fonctionner un duo qui tient tant sur le plan individuel qu’en groupe et qui peut compter sur le talent de ses deux stars.
Léonardo Dicaprio n’a plus rien à prouver, quand bien même ses rôles étaient inexistants depuis The Revenant ou sa consécration aux Oscars en tant qu’acteur en a divisé certains. Mais pourtant sa prestance ne diminue pas, il enchaîne de multiple rôle même uniquement le temps de quelques scènes et ça reste toujours une bête de performance difficilement égalable. Brad Pitt n’est pas en reste, d’autant il n’a pas eu si souvent l’occasion de briller dernièrement, avec un tout petit soupçon du Floyd de True Romance pour une personnalité destinée à rester dans l’ombre mais qui s’en contente et se révèle plus en paix avec lui-même que son ami de longue date.
Et si le reste du casting se rattache bien souvent à de nombreux caméos dans l’horizon hollywoodien de la fin des 60’s (Al Pacino en producteur fan et prisonnier des rôles passées de Rick Dalton, Margot Robbie à croquer en Sharon Tate auto-satisfaisante qui va jusqu'à se contempler dans un de ses rôles d'un film diffusé à Los Angeles, Kurt Russel à la voix-off du film ou encore Dakota Fanning en tant que membre de la famille de Charles Manson) mais comme j’ai tendance à le dire tout film fonctionne grâce à un tout et dans le cas présent, Tarantino est loin de démordre de son talent de directeur d’acteur et de conteur.
Car c’est souvent par l’aspect du conte qu’il raconte la journée du 9 Février 1969 entre tout de beau petit monde. Le mouvement hippie en plein essor alors que la guerre fait rage au Viêt-Nam, les soirées mondaines entre célébrité du milieu en plein essor (à laquelle on voit Tate et Polanski), le premier contact avec les futurs membres de la Charles Manson’s Family (sans pour autant les diaboliser de manière manichéenne lors de la première rencontre dont la réalisation et le ton pendant quelques minutes semblent sorti d’un film d’horreur) et la frontière entre réalité et fiction auquel Tarantino avait déjà fait une belle entrée en matière dans Inglourious Basterds. De même qu’il travaille avec un soin maladif le juste milieu entre sa réalisation et la reconstitution des tournages à l’époque (la lumière, le cadre, le mouvement de la caméra, l’absence de musique lors des dialogues entre chasseurs de prime et desperados et cette sensation de voir sous nos yeux une histoire de construire par ce tout, y compris par la performance du casting sur qui un énorme poids pèse).
Ce serait aussi oublier le sens de la comédie de Tarantino, ici plus proche d’un Jackie Brown en terme de ton que d’un film plus axé sur la brutalité et les excès d’hémoglobine granguignolesque tel que Kill Bill ou Les huit salopards. Se moquant souvent des archétypes dont font l’objet certaines figures du cinéma d’exploitation comme Bruce Lee qui s’encanaillent avec Cliff tant sur le plan verbal que physique, les pétages de câbles de Dicaprio qui restent mesurée mais rendent Rick Dalton que plus attachant (ses cafouillages lors d’une scène de dialogue) et identifiable ou une rumeur tellement grosse et exagérée au sujet d’une membre du plateau de tournage qu’il en devient amusante lorsque c’est balancé comme un avertissement sérieux alors que c’est vraisemblablement du chiqué. Le film continuant de retranscrire une époque sur divers plans d’ambiance que ça soit la mélancolie, l’espoir passager, la nostalgie du succès qu’on ne pourra pas revivre, les moqueries assumées envers certaines figures populaire ou encore ce qui se déroule hors contexte du monde du cinéma de cette époque sans pour autant la juger.
Mais pas sans pour autant s’amuser comme le sale môme qu’on adore contempler lorsqu’il en a l’occasion quitte à envoyer se faire foutre la véracité historique (de toute manière Quentin Tarantino n’a jamais cherchée à faire des films pour flatter l’histoire ou jouer la fidélité lèche-botte aux faits réels) et partir durant sa dernière demi-heure dans une direction qui viol joyeusement ce pourquoi on a également attendu ce film : le massacre non pas de Sharon Tate mais des 3 membres de la Charles Manson’s family étant aussi sanglant et inattendue que jouissif, entre un Cliff Booth boosté à la cigarette au LSD (consommée plus tôt) qui défonce du hippie démoniaque comme Legolas massacre de l’orque dans Le Seigneur des Anneaux, Rick Dalton surpris dans sa piscine par une des adeptes de la secte qu’il ne tarde pas à cramer dans sa piscine avec le lance-flamme d’un film qu’il a tourné quelques années plus tôt ou encore le chien de Cliff croquant à pleine dent un leader de groupe dont le ridicule de la tournure s’apparente à ce qu’a subi le Klux Klux Klan dans Django Unchained, c’est de la fiction aussi inattendu qu’hilarante (sans déconner, la salle était fendard quand on a vu ça arriver) tant Tarantino s’en bas les steaks d’envoyer foutre la continuité historique. Si il y a bien des grilles de lecture à redécouvrir en revoyant Once Upon a Time… in Hollywood, il y a surtout la bienveillance du bonhomme qui reconstruit l’époque sans jugement et déconstruit la réalité dans ses dernières scènes pour donner un peu d’espérance au spectateur et aboutir sur un dernier plan aussi beau que triste, symbole d’une époque révolue mais qu’on aurait souhaité voire durer un peu plus, un espoir de quelques secondes avec l’apparition du titre avant le fondue en noir en assumant tout l'esprit fictif de ce qui vient de se dérouler.
Oeuvre filmique très à part dans la carrière de Quentin Tarantino mais bombée d’une profonde mélancolie à une époque révolue et d’une affection certaine envers ses personnages, parfaitement interprété, drôle, bienveillant et impeccable techniquement, Once Upon a Time… in Hollywood a de quoi décontenancer les habitués du cinéaste par son approche différente du sujet mais il est dans la parfaite continuité de sa filmographie et totalement approprié vis-à-vis de ce qui tient à cœur au cinéaste. Et qui, personnellement, me convainc toujours plus de son amour pour le 7ème art et sa volonté de créer quitte à tourner les faits dans la fiction. Et ce n’est pas du tout un mal tant que c’est assumé, la fiction étant bien souvent une belle échappatoire à la dureté du monde réel quelque soit la manière tant qu’on sait le consommer avec modération et en sachant la savourer. Et en l’occurrence, Once Upon a Time… in Hollywood est peut être la plus savoureuse des fictions (dans le monde réel) de 2019.