La carrière de Rick e(s)t mort(e), iiiiiiiiih.*

En sortant de ma séance ce matin, c’était un léger sentiment de déception qui dominait chez moi, mais plus je repense à ce film, plus il m’obsède, plus je lui trouve des qualités et plus j’ai envie de le revoir. J’aime tellement Tarantino que je pense avoir été habitué à son style spectaculaire et à sa surenchère et dans Once Upon a time... in Hollywood, il apparaît au contraire comme un réalisateur plus assagi, ce qui m’a peut-être perturbé dans un premier temps, mais après réflexion, je trouve cette évolution dans son cinéma parfaite et logique. L’extravagance du montage, des dialogues et de la mise en scène laisse la place à un film plus posé, plus calme, qui ne bouscule pas le spectateur mais qui le laisse au contraire savourer chaque plan et chaque réflexion offerte par le scénario. Alors bien sûr il y a les quinze dernières minutes qui nous montrent que Tarantino reste Tarantino et qui offrent une excellente conclusion uchronique au film qui prend à contrepied ce qui était attendu. Ce procédé rappelle un peu Inglourious Basterds (avez-vous d’ailleurs capté la référence à ce film dans Once upon a Time ? Antonio Margheriti, ça vous dit quelque chose ?), où le réalisateur d’origine italienne avait refait la grande histoire à sa sauce, mais ce procédé n’apparaît pas pour autant répétitif tant les deux films sont différents. Quentin Tarantino adore s'auto-référencer d'ailleurs, les clins d'oeil à ses précédents films se multiplient, comme l'ouverture du film dans un aéroport à la manière de Jackie Brown.


Once Upon a Time in… Hollywood reste en réalité un produit purement tarantinesque : il filme encore une fois la ville qu’il connait si bien et parle d’un sujet qu’il maîtrise à merveille, le Nouvel Hollywood et le monde du cinéma. Les références historiques à cette époque sont légion, à travers certains personnages réels, certains films d’époque dans lesquels ils jouaient (le pastiche de La Grande Evasion où Rick Dalton remplace Steve McQueen est un exemple éloquent et particulièrement amusant) et la reconstitution des lieux de tournage. Le métrage mélange les genres en distillant un humour qui marche très bien (la scène de combat entre Bruce Lee et Cliff, hilarante) dans un film qui se veut assez mélancolique dans son propos sur le déclin de la gloire et les acteurs qui se rendent compte qu’ils sont devenus has been. Leonardo Di Caprio interprète à merveille un Rick Dalton désabusé et même dépassé par une actrice de 8 ans dans son professionnalisme (encore une superbe scène). D’ailleurs, l’échec de Rick Dalton est d’autant plus mis en lumière par le montage alterné entre le moment où celui-ci galère à jouer le méchant en oubliant son texte, et le moment où Sharon Tate découvre avec joie le succès de son film dans le cinéma. C’est une habitude mais vraiment, cet acteur et Brad Pitt crèvent l’écran à chaque fois, ce sont mes deux acteurs du XXIème siècle préférés, et c’est donc un bonheur immense de les retrouver à l’affiche d’un film d’un de mes réalisateurs favoris. Il n’y a que Tarantino qui pouvait réaliser mon rêve de les voir enfin réunis à l’écran. J’attendais beaucoup de cette réunion et leur interprétation ne déçoit aucunement. Ils réussissent à rendre leurs personnages très attachants et leur désespoir devient le nôtre pendant près de trois heures. L'alchimie entre les deux est parfaite, et on peut constater une véritable évolution des personnages dans le film : le parallèle entre Rick et Roman est évident au début de la troisième partie, lorsque le premier revient d’Italie. Il a renoué avec le succès, comme c’était déjà le cas pour Polanski au début du film et ce parallèle est effectué de deux manières : la nouvelle coupe de Rick, qui se rapproche de celle du réalisateur, et la copie conforme de la scène de l’aéroport, lorsqu’ils marchent cote à cote avec leur épouse. Mais la VO m’a vraiment permis de me rendre compte de l’excellente direction des acteurs et l’exigence folle de Tarantino. C’est bateau de dire ça, mais tout le monde joue extrêmement bien, de Di Caprio au figurant, j’exagère à peine. Beaucoup de seconds rôles, et je parle vraiment de très petits rôles, m’ont marqué, ce qui est quand même assez rare. A ce propos, Margaret Qualley (Pussycat), déjà aperçue dans The Leftovers et Julia Butters (la petite qui joue avec Rick dans le western et qui bénéficie d’une des scènes les plus mémorables), sont des actrices extrêmement prometteuses.


Seulement Quentin Tarantino est capable de réaliser à chaque fois des films de cette durée qui ne sont ennuyeux à aucun moment. Dans celui-ci, il ne faut pas s’attendre à des péripéties ou des rebondissements de dingue, le rythme est même plutôt modéré, car le but est vraiment de décrire ce monde hollywoodien et ses protagonistes, de manière presque documentaire parfois (comme le souligne l’emploi de la voix off dans la dernière partie, ou encore la présentation des noms de certains personnages lorsqu’ils apparaissent à l’écran). La science des dialogues si travaillés du réalisateur américain se fait peut-être moins sentir ici que dans un Pulp Fiction ou un Reservoir Dogs, les punchlines sont moins nombreuses, au contraire des trajets en voiture qui se répètent et sont toujours très bien filmés. On est donc plus ancré dans le monde réel ici, on voit la vie quotidienne des acteurs et de ceux qui les entourent, ce qui semble logique au vu du sujet du film, et le réalisme semble donc plus poussé que dans les précédents films du réalisateur, le Los Angeles des années 60 ayant été reconstitué sans aucun recours à des effets numériques, le réalisateur considérant ce procédé comme étant de la triche. Cela donne un résultat impeccable où les décors semblent plus vrais que nature et nous transportent bel et bien à l’époque du Nouvel Hollywood. Tarantino ne peut d’ailleurs s’empêcher de nous faire part de son amour pour le western, dans les films tournés par Rick Dalton bien sûr, qui permettent une mise en abyme de qualité où Di Caprio se doit ironiquement d'oublier temporairement son talent , mais également avec ce passage dans le ranch des hippies. La violence reste présente, mais elle se manifeste moins dans les combats que dans la critique du star-system qui n'hésite pas à mettre au ban des acteurs de renom au profit d'acteurs plus jeunes, ou encore dans la critique de la communauté hippie qui enfantera l'assassin Charles Manson.


La seule déception en fin de compte concerne le personnage de Sharon Tate et son temps à l'écran, assez faible finalement, mais ce procédé est certainement voulu pour accroître son aura en lui conférant peu de dialogues et se concentrer sur les vrais héros de l’histoire, Rick et Cliff, qui rien que par leur existence et le fait d'être au mauvais endroit au mauvais moment, permettent d’éviter le drame qu’on connaît tous et donner au métrage une fin plutôt heureuse et inattendue. En se focalisant sur des héros fictifs, la caméra permet de nous donner un point de vue extérieur aux personnages ayant réellement existé et donc d’éviter l’écueil du biopic classique et trop formel, ce qui évidemment ne collerait pas trop au style de Tarantino. Mais est-ce réellement une déception ? Margot Robbie réussit à briller par sa classe et sa beauté et nous gratifie d’une très belle scène qui a beaucoup fait parler où elle se mêle à la foule pour découvrir le rôle qu’elle joue dans son nouveau film, dans un cinéma ordinaire. J'irais même jusqu'à dire que ce n’est pas juste un hommage que Tarantino rend à Sharon Tate : elle est carrément déifiée. Dans toutes les scènes où elle apparait, elle est présentée sous son meilleur jour, à aucun moment on ne voit d’aspects négatifs chez elle. Elle prend une auto-stoppeuse, elle accueille Rick à la fin avec énormément de plaisir, et surtout elle sourit presque tout le temps. Une femme qui aime la vie en somme, ce qui rend d’autant plus tragique sa disparition précoce. Ma scène préférée en fin de compte n’est pas celle où elle est au cinéma mais celle où elle se rend au manoir Playboy, ça démarre dans la voiture avec Roman sur ce fameux morceau de Deep Purple, puis quand elle arrive elle se met à danser de manière hyper classe. La caméra suit ses mouvements à merveille, il s'agit probablement d'une scène sous-cotée.


Pour terminer, les morceaux de la bande-son ont encore été extrêmement bien choisis, quasiment tous joyeux et très californiens pour souligner la beauté et la luminosité de Los Angeles, encore une fois bien sublimée par la réalisation et la photographie, qui donnent une ambiance unique et caractéristique à chaque film du génie américain, mais peut-être encore un peu plus dans ce dernier métrage.


Quentin Tarantino, qui n’a plus rien à prouver, ne signe peut-être pas ici son meilleur film, mais il prouve qu’il en a encore largement sous la pédale et qu’il a su faire évoluer son style. Sans parler de maturité, puisqu’il l’avait déjà acquise depuis très longtemps, on peut dire qu’avec Once Upon a Time… in Hollywood, il rend un magnifique hommage appuyé à un monde qui l’a façonné et qui lui a permis de devenir qui il est aujourd’hui. Un film à voir et à revoir pour en apprécier chaque détail et la minutie du travail de reconstitution qui a été effectué.


*Jeu de mots non contractuel

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le 14 août 2019

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Albiche

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