Découpé dans la lumière nocturne, une silhouette d'animal. Une ombre. Une esquisse de bête à cornes attachée dans la jungle.
Entre les arbres aux branches entremêlées, le cortège d'une princesse, défigurée, qui retrouvera le plaisir et l'amour au fond d'une eau bleutée où un poisson-chat viendra gouter son sexe.
Une descente dans une grotte, pour s'éloigner du sol et des étoiles, pour s'éloigner de la surface du monde : le retour d'un homme qui se sait bientôt mort dans le ventre de sa mère qui est celui de la terre, pour renaître, enfin, comme les esprits errants.
Un bruit. Ce sont des insectes, des cascades, des feuilles et des branches entrechoquées. Un bruit qui dure et ne s'arrête jamais. Le bruit de la nature, là à tout moment, que le cinéaste au nom imprononçable écoute les yeux ouverts. Brisant délicatement, au moyen de longs plans dont il est jamais vraiment tout à fait possible d'identifier leurs basculements dans la rêverie, cette abstraite et mince frontière qui sépare les vivants et les morts.
Orchestrant un lent et long mouvement qui se poursuivra dans les rêves, qui voit les fantômes et les êtres que nous sommes se rencontrer, pour peut-être s'aimer, puis enfin se quitter et en rencontrer d'autres. Ce n'est pas une indifférence. C'est une sérénité, un calme. Un courage, celui de voir ses autres vies en face, celles qui se sont échappées et manquent à jamais.
Le film est simple, rêveur, silencieux, à l'écoute. Chaque cadre semble bordé par les arbres, dans chaque musique se niche son bruit aux mille nuances. La nature y est partout, qu'elle soit cruelle et menaçante pour les uns, généreuse et magnifique pour les autres. Boonmee, au crépuscule de sa vie, y posera un regard nouveau, y remarquera une infinité de visions, de mouvements possibles, l'oreille tendue vers la terre et la vie. Car, pour remonter dans le temps, chez Weerasethakul, il faut descendre sous la terre. Etre dans la plus totale obscurité pour ressentir la chaleur de la lumière. Etre à l'abri du bruit pour sentir que tout bouge et se meut. Etre le plus loin des hommes pour percevoir leurs présences, leur chaleur, leur humilité et leur beauté, via ces esprits rodant qui viendront nous rendre visite, puis disparaître, puis revenir, puis disparaître, avec que Boonmee ne les rejoigne à son tour, puisqu'il en est ainsi.