Neil Jordan est un formaliste hyper exigeant. A tel point que même quand il pond un mauvais film ( Interview with the Vampire ) il est beau à regarder. Quand en plus il a un sujet béton ( Butcher Boy ) c'est un régal.
Le voilà qui revient avec un projet personnel et fauché, dont le pitch est simplissime, mais les personnages forts et le discours plutôt original et sympathique.
C'est l'histoire de Colin Farrell, pécheur de son état ( l'Irlande ) qui a, comme tout un chacun, une ex-femme alcoolique et une fille victime d'insuffisance rénale. Un soir brumeux, magnifiquement photographié par Christopher Doyle, il découvre dans ses filets une femme, Ondine. En état de choc, elle refuse de voir quiconque et il la recueille chez lui. Il raconte l'événement à sa fille, qui voit en Ondine une Selkie, figure mythologique aux vertus magiques...
Et dès le lendemain, alors qu'elle chante sur le bateau de Colin, la chance se met à lui sourire et il ramène plein de poissons ! Qui est donc cette mystérieuse Ondine ?
Sur ce canevas éculé de l'homme meurtri qui retrouve goût à la vie grâce à ses proches, Neil Jordan parvient à chambouler les attentes les plus évidentes, en laissant longtemps planer le doute sur l'identité d'Ondine, et en ne résolvant jamais le côté féerique de la première moitié de son film, même quand on apprend qu'en fait c'est pas une Selkie du tout mais une réfugiée passeuse de drogue.
En cela il tend à dire que quand on est heureux, on crée sa chance, sans vrai recours à la magie. Je trouve ce propos bien plus responsable que 90% des contes-de-fées-modernes qui nous prennent par la main jusqu'au happy end de rigueur, sans heurts ni surprise...
Dans Ondine le happy end s'arrache au prix fort : un mort, une terrible rechute d'alcoolique, une séparation douloureuse... Cela me rappelle un peu Le Chocolat de Lasse Hallström qui lui aussi laissait planer le doute sur l'aspect magique de la narration.
Mention spéciale à Allison Barry ( la fille ) qui campe un personnage d'enfant-malin, rôle complètement casse-gueule, à merveille et à Stephen Réa, mascotte de toujours de Neil Jordan, qui tient le rôle du prêtre local, que Colin va voir parce qu'il n'y a pas d'Alcooliques Anonymes en ville !
Et puis surtout, j'y reviens pour vraiment marquer le coup, la lumière de Christopher Doyle est hallucinante. Ça va être très dur de départager les vainqueurs de la meilleure photo cette année...
Dans Ondine vous verrez des crépuscules nuageux comme jamais vous n'en avez vu. Rien que ça !