... Et l'enfer le suivait.
Pour avoir une idée de mon expression dépitée à la sortie de ma séance de "Only god forgives", je vous invite à vous poster devant un miroir et de vous observez en train de diviser 1356, 876543 par 546. Effet assuré. Pas que le nouveau film de Nicolas Winding Refn soit mauvais, loin de là. Mais disons que l'aspect très particulier de ses oeuvres précédentes n'est rien comparé à son dernier essai.
Loin du simple copier / coller de "Drive" comme sa bande-annonce a tenté maladroitement de nous le vendre, "Only god forgives" est bien un film de Nicolas Winding Refn, l'oeuvre d'un cinéaste doté d'un talent certain et dont le style se rapproche de plus en plus de celui d'un petit inconnu nommé Stanley Kubrick. Mais là où "Drive" (pour prendre un exemple) parvenait à transcender un script lambda par son style, à compenser une froideur évidente par un romantisme bouleversant, "Only god forgives" ne distille aucune émotion, prisonnier de son ambiance, de son esthétique, de l'univers de son créateur.
Alors oui, le film est beau. Refn à travaillé chaque plan au millimètre, a pensé son film comme une véritable toile de maître, chaque élément étant à sa place. Nos yeux sont heureux, ébahis par tant de beauté, par toutes ces teintes de rouge et de bleu. Refn filme son acteur Ryan Gosling comme une âme en perdition au milieu d'un enfer poisseux, d'une cité puant la pisse et le sperme. Un personnage une fois de plus mutique, parfaitement incarné par Gosling, au charisme intact. Et qui porte foutrement bien le gilet, le saligot.
Mais derrière toute cette beauté, ce cache en fait deux films, qui tentent comme ils peuvent de se rejoindre. D'un côté, une quête de vengeance affreusement lourde, dont l'ambiance atmosphérique ne peut cacher très longtemps la totale vacuité, l'absence désespérante d'émotion. Ryan a beau être magnifique de magnétisme, l'être qu'il incarne nous restera à jamais inconnu, le spectateur ayant toutes les peines du monde à comprendre ce qui se passe dans sa tête de beau gosse. Et ce n'est pas la matriarche incarnée par Kristin Scott Thomas qui va arranger les choses, tant elle demeure insupportable de bout en bout, cliché ambulant de la castratrice qui passe son temps à débiter des saloperies.
Le deuxième film, lui, est le véritable intérêt de "Only god forgives", sa raison d'être, son coeur, son âme, ses couilles. Refn touche cette fois au but quand il nous plonge dans une Thaïlande loin des cartes postales, et surtout quand il nous dresse le portrait du roi auto-proclamé de ces rues sanglantes et misérables, vision terrifiante et biblique d'une autorité supérieure que rien ni personne ne pourra arrêter. On est littéralement scotché à ces scènes ultra-violentes et décalées, renforcées par la présence spectrale de Vithaya Pansringarm, d'une puissance phénoménale, et la musique pesante de Cliff Martinez.
Un second visionnage s'imposera donc pour ce "Only god forgives" qui m'aura laissé pour le moins perplexe, qui m'aura convaincu dans sa représentation d'une Babylon des temps modernes, dans son portrait d'un taré total mais qui m'aura laissé sur le bord de la route pour le reste. A trop attendre un film, il arrive souvent que l'on soit déçu, à trop avoir conscience de ses effets, il arrive aussi que l'on rate son film.