La beauté de l'Enfer signée NWR
Après Drive, véritable pépite du cinéma contemporain et précurseur d'une nouvelle forme du cinéma de genre, Refn était un des cinéastes les plus attendus du festival de Cannes.
Quand un film est érigé en modèle du cinéma actuel par un certain Jodorowsky (dont le film fait clairement hommage, cf le générique de fin), ou un certain Gaspar Noé (voir son interview sur Première), il est clair qu'il ne fallait pas s'attendre à un film noir romancé à la Drive, mais un plutôt à un nouvel opus expérimental et contemplatif, dans la lignée de Valhala Rising.
Donc terminées les sonorités disco et les escapades romantiques au bord de la rivière, et place à l'enfer de Bangkok. Restait donc à savoir à quel de degré de violence allait-on être servi. Verdict.
L'histoire, qui tient sur un demi-bout de PQ à moitié humidifié et qui sert seulement de prétexte à l'introduction d'un monde malsain et cauchemardesque, est celle d'un trafiquant de drogue, Julian, qui perd son frère assassiné par un flic aux allures sataniques. Sa mère débarque au pays, et le porte par les couilles afin de le pousser à venger son frère. Et puis c'est tout ! Fin de l'histoire.
Je peux parfaitement comprendre que ce film soit sujet à débat quant au sens et l'intérêt de ce film, aussi opaque soit-il. L'aspect résolument surréaliste de ce film laisse une plus grand place à la forme, à un enchaînement de plans aussi somptueux les uns que les autres, et à déchaînement de violence d'une beauté rarement/jamais vue auparavant. Il est à la charge du spectateur de se faire une propre analyse de ce qu'il voit à l'écran, et de ressentir pleinement (ou pas) l'horreur défiler devant lui. Quand certains resteront indifférent à ce spectacle, d'autres y verront un trip ultime, un véritable cortège à frissons.
Côté acteur, même si l'expression acteurs passe avant tout par la mise en scène de Refn, j'ai trouvé Kristin Scott Thomas au dessus du lot. Elle joue le rôle de cette mère castratrice, sombre et cynique. Son personnage est un élément central de ce film car elle justifie à elle seule tout cet univers malsain, "rouge sang" qui entoure le personnage de Julian, puisque celui-ci est l'extériorisation d'un personnage qui peine à s'affirmer, et qui est sans cesse dans l'ombre de sa mère, incapable de tenir son rang d'homme.
La scène du restaurant en est l'illustration parfaite. La mère ridiculise son fils devant sa prostituée qui lui sert de petite ami, en lui rappelant littéralement qu'il n'a pas autant de couilles que son frère avait. Et ce dernier fut incapable de réagir, de se révolter, il reste complètement stoïque sur sa chaise. Et ça en est pathétique, à la limite du voyeurisme.. "Parce que c'est ma mère", répondra-t-il plus tard à sa petite amie. Vraiment cette scène je l'ai trouvé assez somptueuse, délirante et cynique à souhait. Et peut-être la seule scène où la psychologie des personnages est aussi explicite.
Le rythme du film est aussi sujet à débat. Quasi-constant, il peut être autant ressenti comme une qualité comme pour un défaut. De plus, on navigue sans cesse entre le réel et l'irréel, entre rêve et réalité par le biais des couloirs interminables.
Le film possède très peu, voire trop peu de rebondissements et s'achève sans véritable climax. Personnellement je regrette que la fin ne se termine pas plus en apothéose. Et le combat final manque de crédibilité et de puissance, bien que ce soit la première fois que j'arrive à ressentir aussi fort le poid d'un uppercut qui vient s'étaler sur la machoire. le formidable travail sur le son de Martinez y joue probablement. Mais il manque un petit truc, un grain de folie...
Reste la problématique Gosling. Je peux tout à fait comprendre que son jeu mono-expressif peut dérouter certains, et je ne leur donne pas totalement tort. . Mais dans Drive, son jeu minimaliste, et sa tête d'ange collait parfaitement à la mise en scène, qui se chargeait de mettre en lumière la psychologie et les émotions du personnage. Ici, le résultat est différent, et je n'ai pas l'impression que Gosling soit tellement à l'aise dans ce film. A vrai dire j'aurais préféré Mikkelsen à la place, au jeu et aux traits beaucoup plus marqués.
Pour conclure, un film qui divise, qui fascine et qui déroute en même temps. Trip hallucinogène à la Noé, Refn signe probablement l'une de ses plus belles mises en scène de sa carrière. Quelques défauts par ci par là, quelques mimiques de Gosling qui agacent, mais globalement, ce film est une réussite, dans les limites de son style.