De multiples thèmes pour un grand film
Il n'aura pas fallu longtemps pour revoir Nicolas Winding Refn réaliser un film. Fort du succès critique et public de son film Drive, le premier dont il n'a pas écrit le scénario, il continue donc sur sa lancée et peut même compter sur Ryan Gosling, préférant tourner dans un film à petit budget plutôt que de se laisser toujours séduire par les grosses productions hollywoodiennes.
Only God Forgives est un petit peu l'antithèse de Drive en ce qui concerne le rythme, quand même bien plus lent et surtout un scénario nettement moins limpide pour les yeux du grand public. En fait, Only God Forgives est surtout le digne successeur de Valhalla Rising, film déjà décrié par bon nombre pour son côté extrêmement lent.
Refn est un fanatique de Lynch et Kubrick. Il ne s'en cache pas et on en ressent constamment l'influence. Il aime aussi Tarkovski. Et c'est bien dans un mélange des trois que l'on peut comprendre le cinéma de fond ou formel de Refn. Ici, il est une fois question de la divinité, de la psychologie, des rapports familiaux.
Le public doit absolument "oublier" la trame qui sert uniquement de point d'appui à ce que Refn veut raconter. L'histoire d'un dealer, pédophile, qui tue une jeune fille. Le père se venge, avec l'appui de la police. Vient ensuite une volonté de vouloir se débarrasser de ce flic.
Si le pitch semble réellement basique, on est extrêmement loin d'un film vide de sens. Au contraire, il faut se creuser un peu les méninges pour parvenir à appréhender Only God Forgives. Tout est une question de rapport à l'enfance. Des enfants que les parents décident de prostituer, d'envoyer se battre pour subvenir aux besoins de la famille. Des enfants qui tentent d'exister aux yeux d'une mère. Des relations qui sont même incestueuses dans certains cas. C'est une enfance écorchée et blessée. Le personnage de Julian est celui d'un être blessé qui n'existe pas face à sa mère.
Julian dont les scènes symboliques ne manquent pas pour exprimer son mal-être. Le point culminant est certainement celle où il introduit ses mains dans le ventre de sa mère (une idée soufflée à Refn par Gosling lui-même). Mais c'est aussi un Julian dont le rapport avec sa mère est parfois à la limite de l'inceste (ne pense-t-il pas à elle lors d'un jeu sexuel avec la prostituée ? N'y a-t-il pas comme la forme d'un pénis en érection lorsqu'il introduit le bras dans le ventre de sa mère, de la même manière qu'il le fait avec sa maman ?, etc.). Mais c'est aussi une enfance que l'on souhaite sauver et c'est bien pour cela que Julian élimine celui qui veut tuer la fille de ce policier.
Un policier qui semble d'ailleurs sortir de nulle part. C'est un être mystique par excellence. Personne ne sait vraiment qui il est et d'où il vient. C'est un homme qui semble vouloir rétablir une forme de justice et de punir les hommes pour certains de leurs pêchés. Il est sans pardon et sans pitié. On est un peu dans le film de fantôme à l'asiatique. Mais c'est un personnage extrêmement important qui marque les hommes pour les punir de leur pêché. Il coupe le bras de cet homme qui avait prostitué sa fille. Il ne tue pas toujours. C'est aussi le sort qui attend Julian, là aussi hautement symbolique. Julian qui n'a pas toujours été dans le droit chemin ne sortira pas indemne de toute cette histoire. Les bras de l'homme seront coupé. On en revient presque au début du film puisque Julian sert les poings dès le début. Ceux-ci seront ôtés. La vengeance, la fureur, la colère qui se caractérisent dans ses poings serrés disparaissent.
Il y a encore d'autres choses à évoquer dans ce film dont le fond est riche. L'esthétique a par ailleurs un rôle important avec ce teint rouge constamment présent, rappelant évidemment le sang. La violence est aussi un des sujets que Refn adore aborder dans ses films. Elle est ici présente et il me semble que c'est dans cette oeuvre qu'elle est la plus distanciée. La violence brute trouve toujours un écho dans une douceur que ce soit dans la musique ou dans la manière de filmer, extrêmement lente, parfois même coupée de tout son.
Les acteurs sont parfaits, avec un Gosling qui bouffe l'écran en ne faisant pas grand chose et un rôle incroyable pour Kristin Scott Thomas. Le casting thaïlandais est excellent. Refn réalise aussi une oeuvre à mi-chemin entre du Kubrick et du Tarkovski sur la forme. Je n'ai pas trop évoqué l'influence de Lynch, pourtant assez présente. Refn ne cache pas sa passion pour Blue Velvet dans les bonus par exemple.
Only God Forgives est une oeuvre franchement atypique, qui n'est pas du tout destinée à un grand public et qu'il faut savoir aborder. Le film a logiquement connu beaucoup moins de succès que Drive, les critiques étant même extrêmement dures vis-à-vis de Refn et de son dernier film. Mais combien de cinéastes n'ont-ils pas été portés au pilori par leurs contemporains avant de finir comme des incontournables du septième art ?