Open Season
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Film de Sabine Boss (2020)

La Suisse et sa précision d’horlogerie… La réalisatrice helvète Sabine Boss, née en 1966 à Aarau, inscrit son troisième long-métrage dans la lignée de « La Loi du Marché » (2015), de Stéphane Brizé, ou encore du superbe « Ceux qui travaillent » (2019), d’Antoine Russbach, sans compter nombre de réalisations d’outre-Rhin, tout aussi claires dans leur message, qui consiste à dénoncer, par différentes voies, le fonctionnement des grandes entreprises, lorsque celles-ci ne songent qu’à la course au profit et s’enfoncent dans un mépris de l’humain de plus en plus profond, surtout si celui-ci a le visage des employés ; étonnamment, les actionnaires, sans doute hybrides entre hommes et lingots d’or, sont trop souvent les seuls humains à tirer leurs épingles de ce triste jeu.


Le titre original de ce troisième long-métrage de Sabine Boss, « Jagdzeit », « Temps, période de chasse », littéralement, dit plus explicitement la sauvagerie de ce qui va s’illustrer. En effet, la chasse sera ouverte, chasse aux profits effrénés, et chasse à ceux qui auraient le mauvais goût de s’y opposer. Et la mécanique redoutable organisant cette volonté de puissance puis cette mise à mort sera parfaitement, implacablement exposée par la réalisatrice helvète.


Le héros / anti-héros moderne impeccablement campé par Stefan Kurt entre en scène, dès le premier plan, surplombé à la verticale par la caméra, et donc écrasé sur la belle terrasse où il prend seul son petit-déjeuner très diététique. Aucune chaise, même, pour lui faire face. Tout est dit : aisance financière ; de fait, le plan suivant nous apprend qu’Alexander Meier est le responsable financier du grand groupe automobile Walser ; solitude acceptée ; on le découvrira, un peu plus tard, père d’un jeune adolescent, et en instance de divorce. Les deux informations se rejoignant, on suppose l’homme trop absorbé par son travail pour être en mesure de mener une autre vie, plus personnelle ; ce qu’un lapidaire échange avec sa future ex-épouse (Therese Affolter) confirme.


L’homme et son cadre étant ainsi posés, il suffira d’un changement à la Direction de ce groupe pourtant florissant pour que la mécanique s’emballe. Succédant à un patron visiblement très humain (trop ?…), arrive Hans-Werner Brockmann, gestionnaire froid et sans affect, brillant, faussement cordial et volontiers manipulateur. Pour qui conserve le souvenir chaleureux d’Ulrich Tukur, incarnant un collectionneur de tableaux très attentif et protecteur dans le merveilleux film de Martin Provost, « Séraphine » (2008), il est saisissant de retrouver ce même acteur, endossant avec tant de naturel les sourires et l’aisance assassine d’un stratège aussi habile que déterminé.


L’espace, comme un échiquier, compose un monde qui n’offre aucun abri, aucun asile à l’éventuel sécessionniste. Les intérieurs, ultra modernes, tout en droites et en angles, offrent aussi peu de rondeur dans l’entreprise que dans les appartements privés, et la caméra de Michael Saxer, précise, chirurgicale, les recueille de manière implacable. Les décors eux-mêmes sont pensés avec beaucoup de subtilité et les deux plantes vertes qui ornent seules le bureau d’Alexander, et non son propre appartement, en disent long sur le territoire où sa vie a choisi de se réfugier. Quant aux extérieurs, réels ou virtuels, espaces consacrés exclusivement à la chasse, ils ne dégagent aucun point de fuite et disent au contraire de façon non métaphorique le terrible qui se joue dans les intérieurs d’apparence plus feutrée, plus policée. La musique, discrète, très savamment dosée, mais glosant le stress enduré par les personnes évoluant dans de tels milieux, se glisse avec beaucoup d’élégance et d’à propos dans ce tableau terrible, mais sans fausses notes.


Bien que s’emparant d’une thématique qui devient presque une tradition, Sabine Boss renouvelle ce genre cinématographique par le traitement qu’elle en donne, dénudant l’inexorable mécanique de précision qui broie les hommes, mais rendant, précisément, l’humain d’autant plus criant, d’autant plus unique, d’autant plus irremplaçable.

AnneSchneider
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le 27 févr. 2022

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Anne Schneider

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