Une opération bien mal nommée (à moins que ce ne soit le film ?)

Ce film, du réalisateur Menahem Golan, a été tourné en 1977, et est inspiré du détournement l'année précédente d'un airbus par des terroristes pro-palestiniens. L'enlèvement s'était terminée sur une opération commando de l'armée israélienne en Ouganda (le pays où les pirates se sont finalement posés), opération qui donne son nom au film.


L'affaire avait alors fait grand bruit, et il existe deux autres films traitant du même sujet : Raid sur Entebbe (1976) avec Charles Bronson et Victoire à Entebbe (1976 aussi) avec Kirk Douglas et Burt Lancaster, entre autres.


Pour des détails sur cette affaire, je vous invite à aller voir ici. Parlons un peu du film maintenant.


Donc, Opération Thunderbolt a pour ambition de retracer plus ou moins fidèlement les évènements et de nous faire vivre, minute par minute, les turpitudes des otages. Et quand je dis "minute par minute", c'est à peine une exagération. C'est le principal défaut de ce film (même si ce n'est pas le seul), il est long. Long et lent, la lenteur accroissant l'impression de longueur. Soyons clair : Opération Thunderbolt est un film sur l'attente. Parce que ce fameux "coup de tonnerre", il va mettre un sacré paquet de temps à arriver !


Donc le film débute sur la présentation des passagers les plus marquants, ceux qu'on reverra souvent au premier plan. On voit donc tout ce beau monde se rendre à l'aéroport de Tel-Aviv en jacassant qui avec ses parents, qui avec son frère ou ses amis. Petit problème, les persos s'enchaînent vite, parlent vite, parlent les uns par-dessus les autres et on se retrouve vite complètement paumé en terme de qui est qui.


Après cette scène d'exposition maladroite, l'avion décolle et fait une première escale à Athènes, escale durant laquelle les terroristes (dont le chef est interprété par un Klaus Kinski qui avait sans doute une famille à nourrir), au nombre de quatre, montent à bord grâce à un subterfuge qui, vu avec des yeux post 11 septembre paraît difficile à imaginer : les complices des terroristes coupent le courant dans l'aéroport au moment de l'embarquement et du coup, le détecteur aux rayons X ne fonctionne plus et on fait monter les passagers à bord sans vérifier leurs bagages.


Et hop ! Le tour est joué ! Avouez que de nos jours, ça semble dur à croire, mais autre temps, autres mœurs...


Ensuite, arrive la réplique la plus marquante du film, envoyé par un jeune garçon israélien alors que deux des terroristes s'assoient à leur place :


"Maman, maman, ils ont des têtes d'Arabes. Je ne leur fait pas confiance"


Quel bon sens cet Ephraïm (c'est son prénom). Il les a repéré du premier coup. C'est pas très dur ceci dit, vu qu'ils sont pour l'un mal coiffé, pour l'autre moustachu (et comme chacun sait : au cinéma, une pilosité faciale prononcée est souvent synonyme de méchant). Après, ils font pas spécialement "Arabes" vu comme ça. On dirait plus des épiciers grecs ou chypriotes, mais bon, vu que ce sont effectivement des terroristes, c'est Ephraïm qui a raison.


J'ai failli oublier ! Comme deux des preneurs d'otages sont allemands (d'où la présence de Kinski au casting) voilà l'occasion d'une autre réplique remarquable qui intervient après que les terroristes se soient parlé dans la langue de Goethe :



  • "Pourquoi vous des Allemands vous en prendre à des juifs ? N'en avez-vous pas déjà assez fait ?"


Donc prise d'otages, scènes de panique, cris etc... Le film est lancé ! Du moins c'est ce qu'on croit...


Parce qu'à partir de là, l'attente commence. Menahem occupe le public par un constant aller - retour entre les otages d'une part, et les évènements en Israël où on nous montre tantôt un groupe de commandos qui se prépare à une éventuelle intervention, tantôt le porte-parole du gouvernement face à la presse.


Les scènes avec les soldats sont mollassonnes et on nous les montre en train d'attendre et de ronger leur frein en attendant d'intervenir. Ça doit plus ou moins correspondre à ce que ces soldats ont vécu, mais en terme de cinéma, c'est pas du tout intéressant à voir.


Les scènes avec le porte-parole du gouvernement sont assez croquignoles, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que ces scènes sont fauchées. 15 - 20 figur... journalistes qui se battent en duel dans une salle de conférence de presse qui ressemblent à une MJC louée pour l'occasion et qu'on a hâtivement drapée de tentures, et ben c'est touchant. Mais ça fait pas très crédible.


Mais ensuite, il y a quelques autres petits points que je tiens à souligner.


Dans un souci d'immersion du spectateur (du moins je suppose), Menahem Golan a tenu à ce qu'on voit vraiment les personnes du gouvernement à l'écran, comme s'ils s'étaient prêtés réellement au jeu de la reconstitution. Alors du coup, comment fait-il ?


Et bien en vieux briscard du cinéma, il utilise la bonne vieille ficelle du stock shot.


Technique bien connue consistant à prendre de vrais images d'archives ou de documentaires, et à les inclure dans un long métrage de fiction, Menahem nous la sert à toutes les sauces.


Ainsi, il nous montre plusieurs passages tournés dans l'enceinte de la Knesset (l'équivalent de notre assemblée nationale en gros) sensé nous montrer les débats enfiévrés entre les représentants de la chambre et le gouvernement.


Le hic, c'est que ces images n'ont pas été tournées au moment de la crise. Ils sont tous bien trop calmes à l'écran, et pas du tout inquiet, et toutes ces scènes baignent dans une espèce de bonhommie sereine pas du tout en phase avec les enjeux du film. D'ailleurs, Menahem ne s'y est pas trompé car ces passages sont montrés sans son direct, uniquement soutenu par la musique.


On sent, rien qu'à leur façon de se tenir pendant leur discours, à leurs gestes, qu'ils sont davantage en train de débattre du prochain repas de midi que d'une crise internationale mettant en jeu la vie de plus de 100 de leurs concitoyens.


Autre utilisation : les champs / contre-champs qui doivent nous laisser croire que l'acteur à l'écran est face à Shimon Péres ou Yitzhak Rabin. Là encore, les images choisies, probablement tirées d'interviews, nous les montrent tout calme, mutiques, comme s'ils n'étaient pas impliqués.


De plus, la technique, assez grossière, ne marche à aucun moment. le grain de l'image est trop différent d'un plan à l'autre pour que l'on s'y laisse prendre. On sourit presque à chaque fois tant cela semble naïf.


Mais mieux encore que les stock shots, Menahem ose plus fort encore !


À deux ou trois reprises (je ne m'en souviens déjà plus, il commençait à se faire tard), les acteurs sont montrés face caméra en train de parler à un fauteuil dont le dossier occupe le premier plan et duquel dépasse juste une moumoute. Et là, on est supposé croire qu'ils sont face au premier ministre Yitzhak Rabin. Est-ce que j'ai besoin de préciser qu'on y croit pas une seconde ?


Bref, pas grand chose d'autre à dire sur le reste du film. Les scènes avec les otages s'enchaînent. On a droit à deux visites d'Idi Amin Dada (le dictateur ougandais) aux terroristes, qu'il soutient. Visites qui sont l'occasion de cabotinages de la part de son interprète qui n'ont sans doute d'égal que ceux de l'original.


Tout cela manque singulièrement de rythme. Car le film fait tout de même 2h10, mais l'opération elle-même n'en occupe que 15 minutes ! Au bout d'une heure quarante de film, on n'attend plus qu'une chose : qu'il se passe enfin quelque chose ! Et même une fois l'opération lancée, Menahem étire ses scènes, retardent l'inévitable action qu'il nous promet dans le titre.


C'est simple, ce film est tellement un troll, que lorsque enfin un officier donne le feu vert, je m'attendais à ce que le générique de fin se lance !


Hélas, rien de tel, on assiste complaisamment au décollage successif de quatre avions, puis on se tape au moins 10 minutes de voyage (jamais entendu parler de l'ellipse Menahem ?).


La confrontation finale est ensuite expédiée en 15 minutes (et encore, je suis peut-être généreux), puis c'est retour en Israël au milieu d'une foule en délire de 50 personnes.


Voilà.


Bilan : c'est un un bon gros raté. Le film, clairement patriotique, ne parvient pas à véhiculer l'emphase hollywoodienne qui parvient parfois (pas toujours) à faire décoller (ha ha) un film en dépit d'un scénario ou une réalisation poussive.


On sent les bonnes intentions derrière, comme souvent avec Menahem (je n'en suis pas à mon coup d'essai), et son amour pour son pays transpire dans ce film, mais c'est raté. À vouloir tout montrer de cet évènement, il en montre trop, s'attarde sur des moments dispensables et achève d'ennuyer son audience. Pour reprendre les mots de mon frangin qui a participé à cette épreuve : "Je refuse que l'on puisse classer ce film dans la catégorie action". Et bien il a raison.


PS : une autre chose m'a frappée durant le visionnage : tout le début du film (en gros le détournement de l'avion) m'a furieusement rappelé le début de Delta Force, du même Menahem Golan (avec Chuck Norris et Lee Marvin), et je le soupçonne d'avoir réutilisé des dialogues et retournés des scènes presque à l'identique. J'irai sans doute pas jusqu'à le revoir pour vérifier (même s'il est moins raté qu'opération Thunderbolt), mais un survol rapide, qui sait ?

Math_le_maudit
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le 20 déc. 2014

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