Orage, Oh Désespoir !
Le cinéma, c'est avant tout un grand guignol dont une des clefs est de ne laisser voir ni les ficelles, ni les marionnettistes. Dans Orage, le pari est raté, on voit non seulement les fils, les...
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le 7 nov. 2016
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Sans doute est-il préférable de se trouver déjà quelque peu accoutumé à l'univers durassien pour recevoir l'ondée folle de cet "Orage". D'être familier de ses héroïnes errantes, égarées, desquelles il serait déplacé d'attendre un comportement rationnel, répondant aux normes de la logique et du bon sens. Depuis les mères folles traversant "Les Petits chevaux de Tarquinia" (1953), jusqu'à la mémoire hantée de Madeleine, dans la pièce "Savannah Bay" (1982), en passant par la mendiante de Calcutta qui arpente le roman "Le Vice-consul" (1966), l'œuvre de M. Duras est zébrée de ces trajectoires féminines imprévisibles, installées dans l'état de crise.
Ce premier film de Fabrice Camoin, adapté du roman de Marguerite Duras, "Dix heures et demie du soir en été" (1960), accompagne ainsi Maria, incarnée par une Marina Foïs intense et ténébreuse, noyant dans l'alcool sa douleur et sa fascination pour un couple dont elle pressent la formation au plus près d'elle-même, puisqu'il rapprocherait son propre époux (Louis-Do de Lencquesaing, parfait) de l'amie de famille (Valérie Donzelli, elle aussi très juste), qui emboîte le pas au couple avec enfant dans leur périple vers la maison de vacances qui les attend en Espagne. Périple interrompu par un orage diluvien qui submerge les voies et contraint le quatuor à faire halte dans un hôtel bondé, dégorgeant de voyageurs en déroute. Alvéole impossible, les naufragés ne trouvant aucune coquille, même de fortune, pour abriter leur désarroi.
Dans une atmosphère nocturne, où toutes les formes, y compris celles de sa propre vie, deviennent plus indécises, le réalisateur et sa superbe interprète illustrent magnifiquement le point de bascule, ce moment où une existence va changer de trajectoire pour en épouser une autre, aussi dévastée soit-elle. Petite sœur annonciatrice, dans l'œuvre de sa créatrice originale, de la silhouette de Lol V. Stein (1964), Maria passe de la fascination pour le naufrage de son propre couple à celle qui l'aimante vers une figure de jaloux intransigeant, Nabil (Sami Bouajila, aussi éperdu que déterminé), qui vient d'abattre conjointement sa propre femme et l'amant de celle-ci. Meurtrier en fuite, dont la police suit la trace, et que l'on sait embusqué dans le secteur, où il résidait également.
Quitte à être chassée de sa propre vie, par la rivalité, par les circonstances, par l'impossibilité du refuge, l'héroïne va faire de cette nuit d'orage un point d'acmé de son existence, en précipitant la lente destruction opérée par les excès d'alcool et en décidant soudainement, à la faveur du hasard qui les a mis en présence, de venir en aide au criminel en l'accompagnant dans sa fuite désespérée. Malgré l'issue que l'on sait nécessairement fatale, en tout cas pour l'un des deux, Fabrice Camoin parvient à faire affleurer quelques moments d'apaisement inespéré, dans le jour revenu, de confidences furtives et parcellaires, entre les fugitifs, comme une esquisse de solidarité et de compréhension mutuelle, au sein d'une vie saccagée. Une pause au bord du gouffre, mais une pause au cours de laquelle la beauté de la mer et la radicalité du soleil espagnol parviendraient, l'espace d'un instant, à faire croire aux rêves et à faire oublier l'abîme...
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le 16 févr. 2017
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Comme après un orage , tout est dévasté .
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