Le style hybride de Virgil Vernier semble être arrivé à maturité avec Orléans. L’histoire d’une rencontre entre deux danseuses de strip-tease aux aspirations opposées, qui vont se laisser gagner par la grande cérémonie annuelle en hommage à Jeanne d’Arc. La trivialité face au mythe. Ce qui est passionnant une fois encore, et très beau cette fois-ci, c’est de constater combien le film glisse, jusque dans son titre, vaste, qui peut aussi bien convoquer la ville et son Histoire qu’une terre sacrificielle ou le berceau d’une quête. Et c’est un peu tout cela à la fois.
Le film s’ouvre d’ailleurs sur de nombreux plans topographiant la ville d’Orléans, celle d’aujourd’hui : Ses rues, son architecture, ses places, un cimetière, une voie ferrée. Puis s’engouffre dans un de ces territoires de la nuit, lugubre pub dansant dans lequel deux femmes s’approchent, se conseillent dans l’effeuillage, jouent avec la clientèle, se relient par leur colère et leurs envies, jusqu’à se confier plus tard dans l’appartement minuscule (Aux fenêtres comme des meurtrières) de la plus capée, plus réaliste, qui a déjà refoulé les grands rêves dont fait état sa novice de collègue. Joane, la jeune rêveuse, se voit bientôt à la capitale en danseuse de modern jazz, quand Sylvia arbore des tatouages pour masquer les vestiges de ses tentatives de suicide.
Le lendemain ou un autre jour (La temporalité est très mystérieuse dans le cinéma de Vernier, les ellipses évasives) c’est en se promenant dans une forêt – mais on a déjà la sensation qu’elles sont dans la fuite – qu’elles font la rencontre d’une demoiselle, déguisée en Jeanne d’Arc pour les coutumes locales, qui s’est retirée un moment avec son cheval, du bruit de la foule, de la peur urbaine. Elle aussi est dans la fuite d’un monde pour lequel elle refuse de se plier. Toutes sont des Jeanne d’Arc modernes, en somme.
Et lorsqu’elles regagnent la ville, comme si elles partaient en croisade, on retrouve d’une part ce qui faisait le final de Thermidor, d’autre part c’est comme si le fantasme, qui n’aurait jamais dû éclore, s’était emparé du réel. Et le film glisse encore pour nous perdre dans les festivités, Vernier reprenant alors sa vitalité documentaire. Et ces visages d’un réel précaire entrent en écho sublime et douloureux dans la marche médiévale mais éphémère que le film s’est choisi. Le bucher de la Pucelle résonne avec la barre de pole-dance.