"Ce n'est qu'un épisode de plus du snuf movie auquel on participe"
Le dernier film de Peckinpah se déroule pendant la Guerre Froide. Osterman Week End est l'adaptation d'un roman de Robert Ludlum, le créateur de Jason Bourne. Mais ici, l'ambiance est très différente : ce n'est pas vraiment un film d'action.
Rutger Hauer y interprète Tanner, un journaliste polémique qui est engagé par la CIA. Il apprend que ses trois amis, connus sur les bancs de Berkeley et avec lesquels il compte passer le week end, sont en réalité des espions à la solde de l'URSS. Pour l'Agence, il ne s'agit pas de les éliminer, mais de les rallier à la cause étatsunienne.
Le week end entre potes aura donc lieu, comme tous les ans, mais dans la villa de Tanner qui sera, au préalable, truffée de micros et de caméras. Fassett (John Hurt), l'agent de la CIA, sera posté dans une camionnette.
Tanner est vite pris entre deux feux, entre son amitié et son engagement. Loin d'être un héros, il est la victime de cette Guerre Froide qui opposait des dirigeants politiques mais dont les victimes étaient les populations.
L'un des "amis" se sent menacé et devient vite agressif. Le ton monte. L'ambiance devient d'autant plus tendue que s'y mêle une certaine nervosité sexuelle.
Ici, bien entendu, il y a une absence totale de manichéisme. Il ne s'agit pas d'opposer les gentils et les méchants. Les deux camps ont des méthodes identiques. Dans tous les cas, il ne s'agit pas du bonheur de la population mais de la victoire des représentants d'une idéologie.
Et pour cela, il faut instaurer tout un univers de mensonges et de manipulations. Fassett, qui contrôle tout le jeu, s'amuse avec ses victimes comme un chat avec ses souris. Il intervient à travers les télévisions de la villa, parle avec Tanner en secret, et surveille tout ce qui se passe. Il enchaîne les situations dramatiques, cherchant à provoquer des réactions et à observer tout cela comme un entomologiste fou.
De nos jours, on pourrait penser à une émission de télé réalité. Mais cette villa où des personnages sont enfermés et où leurs gestes sont épiés est sûrement plus à l'image des USA de l'époque (et de l'URSS itou, puisque les deux états, les deux systèmes sont renvoyés dos à dos). La situation révèle surtout la paranoïa des systèmes politiques qui transforment les opinions personnelles en délits répréhensibles, qui emprisonnent ses citoyens et les montent les uns contre les autres. On sent vraiment que le film vise l'Amérique de Reagan, avec ses dirigeants paranoïaques et violents.
Peckinpah, dans ce film, mélange les thématiques et les influences : on y trouve du Huston de "La Lettre du Kremlin", du Coppola de "Conversation secrète" mais aussi ce thème de la manipulation par les médias, thème majeur du cinéma de Brian DePalma. La vidéo est en effet un formidable moyen de manipulation, créant des vérités de toute pièce (c'est forcément vrai, puisque la télé en a parlé). "La vérité n'est qu'un tissu de mensonges" dira Fassett.
Dans un tel contexte, le film ne propose pas de héros, de gentils, ni de vérité toute faite. Les positions sont floues, chacun s'arrange avec sa morale, seul le plus fort peut avoir raison (momentanément, car il y a toujours plus fort que soi).
Le début du film est un peu lent et bavard, mais ce petit défaut est vite oublié. Film sous-estimé, un peu méprisé, on y retrouve pourtant toutes les qualités de ce cinéaste majeur que fut Sam Peckinpah : cadrage au cordeau, montage novateur, scénario intelligent, portrait d'un Amérique où la loi du plus fort est la seule morale.
Et interprétation irréprochable. Outre Rutger Hauer (dont on ne dira jamais assez à quel point il est sous-employé dans le cinéma de ces trente dernières années) et John Hurt, on trouve Dennis Hopper, l'excellent Craig T. Nelson et l'immense Burt Lancaster. Tout ça pour un film âpre, tendu, nerveux, qui est à re-découvrir.