Où est la liberté ? par Alligator
nov 2012:
Lors de ce Cinémed 2012 consacré à Roberto Rossellini, je me suis spécialement soucié de voir ses rares comédies. Dans sa filmographie, elles peuvent se compter non pas sur les doigts de la main mais dans les narines du nez. Après avoir vu et apprécié "La machine à tuer les méchants", je suis allé découvrir cette autre comédie, tout aussi morale.
Cependant, le message "philosophique" est cette fois plutôt simpliste et également plus "comique". On est proche de la farce, qui cherche à faire un bon mot via le parcours chaotique d'un homme qui vient de sortir de prison et qui tente de se réinsérer. Il nous est donc dit et démontré par les faits que la prison est un lieu plus paisible et plus moral que l'extérieur. Les monstres de cupidité, de cynisme, de malhonnêteté et d'égoïsme ne sont pas en prison mais pullulent en toute liberté. Dans la vie de tous les jours, on y est confronté en permanence et en fin de compte, il vaut mieux retourner en prison, coûte que coûte. Voilà donc en substance ce que cette fable essaie d'asséner.
Je ne doute pas un instant que Rossellini et ses co-scénaristes (Vitaliano Brancati, Ennio Flaiano, Antonio Pietrangeli, Vincenzo Talarico) ne pensaient pas sérieusement que ce propos devait être pris au pied de la lettre mais qu'ils le voyaient plutôt comme une blague, une histoire rigolote et un poil provocatrice destinée bien entendu à relativiser la vision béate du monde partagé entre bons et méchants.
Surtout je veux supposer que les objectifs immédiats étaient de proposer un récit gentiment anarchiste et mettre Totò, star considérable à l'époque du ciné de divertissement italien, monument populaire, dans des situations compliquées où son physique pouvait à merveille provoquer le rire. C'est bien là la priorité à ne pas oublier même si Rossellini signe la mise en scène.
Totò a un physique extraordinaire. Il y a dans son visage une forme qui de près ou de loin rappelle Buster Keaton, cependant, au contraire de l'Américain, Totò profite de l'élasticité de sa face pour jouer de ses traits et susciter avec le public cette relation privilégiée, basée sur une sympathie instantanée. Il est touchant et drôle, pince sans rire, s'emporte, romantique ou au bord de l'absurde, et tout cela avec un naturel charmant dévastateur. Il fallait sans aucun doute cet acteur-là pour ce film-là. Plus souvent qu'on pourrait le penser, Totò a servi de très grands réalisateurs, et même de ceux qui n'étaient pas à proprement parler des cinéastes populaires (je pense à Pasolini par exemple). Aussi, de le trouver dans une des rares comédies signées Rossellini n'est-il pas non plus une surprise. Tout le monde sait que Totò est un très grand comédien et qu'il peut jouer dans n'importe quel type de film ; il ressort de ses prestations toujours quelque chose de plus grand que son personnage, une délicatesse et une profondeur, une part d'humanité, une émotion peu communes, de la magie en somme. Dans ce film, Totò est sans doute l'un des rares éléments qui permettent au film d'exister. Comme je l'ai dit plus haut, l'histoire se résume à une idée, et très vite, on risque de s'en lasser. Seule son abnégation à vouloir faire vivre son personnage retient réellement le spectateur au bord de l'ennui.
Quelques plans, également, donnent à la mise en scène épurée de Rossellini une valeur notoire. C'est bien peu.
La déception est relative mais bel et bien là au final en ce qui me concerne. Des longueurs ralentissent et étouffent le film par instants. Les retournements de situations ne sont pas amenés avec toute la subtilité requise pour une comédie. Surtout, cela manque de vitesse, de dynamisme et pour ce genre, le manque de rythme devient rapidement rédhibitoire.
Quelques scènes dans le procès sont à savourer, on y retrouve la verve et l'espièglerie de Totò. Mais tout cela est un peu léger, on comprend vite qu'effectivement Rossellini n'est pas aussi à son aise qu'il le voudrait pour manier ce genre de cinéma, difficile et périlleux.