Ozu avant Ozu. Il y a quelque chose d'extrêmement attendrissant à voir que tout est déjà là (même Chishu Ryu) et pourtant pas encore en place.
Le cocon familial, la vie de bureau, les affiches de films au mur (Hells Angels de Howard Hughes, Billy the kid de King Vidor etc), les bouteilles de bière vides qui s'empilent, les trains... Des plans d'une beauté à couper le souffle, plastiquement et narrativement. Et cette délicatesse dans l'amitié virile qui n'appartient qu'à Ozu. Mais le cadre est beaucoup plus varié - même des travellings ! - et le découpage beaucoup plus rapide que dans ses films plus tardifs, on devine le réalisateur encore sous influence.
Ambiance années 30, c'est une société japonaise qui sent son fascisme, en jaquette et petite moustache façon Mitsuhirato (l'acteur principal, Ureo Egawa, est d'ailleurs un métis germano-nippon curieusement). Même si on s'entraîne au base ball sur le toit des immeubles.
Ca commence comme un teen-movie tendance Les sous-doués à la fac, avec séance de gym, cloche intempestive, tricherie épique aux examens, pause bière et drague au Blue Hawaï café et surtout une inénarrable partie de shôgi. Tout ce début est plein de charme, de drôlerie et d'insouciance, le virage vers la gravité est un peu moins bien négocié, quand les rapports entre les quatre compères changent lorsque l'un d'entre eux doit quitter l'université pour diriger l'entreprise familiale à la suite du décès de son père. Il lutte pour préserver ce qu'il avait de plus précieux : sa bande de potes. Et deux réalités de l'âge adulte/obstacles viennent mettre fin à son insouciance : le travail (il a embauché ses amis, il est donc leur patron, ils n'osent plus lui dire ce qu'ils pensent ouvertement) et l'amour (il est amoureux de la même fille qu'un autre d'entre d'eux). Un peu schématiquement, un peu répétitivement, il essaye de remettre les choses à leur ancienne place. Cette partie du film manque un peu de force et de rythme. Mais Ozu emballe la fin avec un au-revoir au train, tellement adorable, qu'on ne peut que mettre un cœur.
Quant aux rêves du titre, on se demande bien où ils sont effectivement. Entre celui qui se retrouve chef d'entreprise du jour au lendemain et n'a pas le choix de son avenir, les trois autres qui n'ont d'autre ambition que de se faire embaucher par lui pour se la couler douce, en passant par la fille qui épouse un minable pour ne pas lui faire de peine, on ne peut pas dire que leurs rêves soient pleins d'espoir. Rien ne transpire du fracas du monde extérieur (enfin, seulement sur le mode théorique à travers les questions posées aux examens à la fac et à celui d'embauche : "qu'est-ce que l'inflation ?"), comme si justement le refuser obstinément était la seule issue. Comme si ne surtout pas rêver était une question de survie.
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