Partie 1 : https://www.senscritique.com/film/Oxhide/17105032
Le parti pris formel de Liu Jiayin pour tourner une docu-fiction centrée sur sa propre vie de famille dans un appartement sombre et exigu de Beijing est pour le moins osé : en faisant le choix de réaliser son film de près de deux heures en seulement 23 plans (en écho à son âge, à l'époque du tournage) dépourvus de contre-champ à l'aide d'un objectif à grande focale, elle travaille une fibre claustrophobique intense. L'appartement qui est censé faire 50 m² ne paraît en fait que 10, et le format retenu, volontairement trop zoomé, découpe tout ce qui est dans le champ, personnages et mobilier. Elle se met en scène (il est précisé que tout est scripté) avec ses propres parents dans ces conditions très particulière, et il en résulte une variation (sans doute involontaire) sur le thème de "Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles", avec des plans fixes extrêmement longs et centrés sur des actions anodines.
Le visionnage est une petite épreuve, cela va sans dire — et la réalisatrice a tourné une suite en 2009... Il faut s'armer de patience et laisser libre cours à son masochisme cinématographique pour passer deux heures dans une telle configuration inconfortable. La narration déroule ceci dit son maigre fil lentement, avec en toile de fond une entreprise familiale tenu par le père (la mère travaille à l'usine a priori), qui fabrique et vend des sacs en cuir — d'où l'origine du titre qui signifie "peau de bœuf". La faillite les guette suite à un sursaut de fierté du père, qui vendait depuis des années ses sacs avec une réduction avant d'y voir une remise en cause de sa dignité professionnelle et de son savoir-faire artisanal. Les parents se disputent souvent, la fille qui fait des études de cinéma semble ne plus trop grandir. En résulte un témoignage très étrange, pas toujours agréable, sur une famille commerçante contemporaine prise sans ses angoisses, et dans un sens de la répétition étouffant. Le propos développé ne paraît pas être à la hauteur de l'exercice qu'on nous impose, l'ennui prenant parfois le dessus.
Partie 2 : https://www.senscritique.com/film/Oxhide_II/13041983
On atteint ici, dans cette suite au premier film sous la forme d'une docu-fiction de Liu Jiayin, la caricature du cinéma d'auteur. Autant le premier "Oxhide" pouvait se comprendre comme un regard sur une famille peu fortunée dans la Chine contemporaine, autant ce second film confine à l'escroquerie. Plus de deux heures centrées sur la table à manger, avec pour seul concept un objectif à grande focale (reprenant le concept du premier film) qui se déplace de 45° autour de la table toutes les 5 à 20 minutes, soit la durée 9 plans fixes. De la fin de la journée de travail au repas du soir, en passant, donc, par la confection des raviolis chinois. Un bien maigre menu.
En filigrane, encore moins évoqué que dans l'autre docu-fiction, la menace qui pèse sur l'entreprise familiale. Mais du cuir qui fait le titre du film, on ne verra quasiment rien après les 5 premières minutes. "Oxhide II" est une captation en temps réel d'une recette de cuisine, avec pour message métaphorique à n'en pas douter l'union familiale autour de cette table. Liu Jiayin surjoue la fille maladroite qui ne sait pas bien cuisiner, méthodique au point de prendre une règle quand on lui dit de couper la ciboulette en bouts de 4 millimètres. L'ambiance est faussement sereine puisque le malheur rôde non loin, mais ce n'est pas ça qui occupe le centre du champ : dans une démarche encore plus radicale que précédemment, on passe deux heures à les regarder préparer à manger, en tournant autour de la table, en plongée ou contre-plongée. Rien de plus. Le foutage de gueule du cinéma d'auteur auteurisant à l'extrême n'est pas loin.