Je me suis réveillée aujourd’hui dans une situation fort embarrassante, et le moins qu’on puisse dire, c’est que j’aurais bien tiré profit des notes de la veille pour un point d’étape. Mais rien que des pages blanches dans ce carnet flambant neuf. Je suis dans un caisson ultra moderne sans savoir pourquoi, et les circonstances semblent se liguer contre moi pour que j’en apprenne le moins possible.
L’amnésie n’est en effet pas le moindre de mes soucis : il ne me reste qu’1h40 d’oxygène, l’intelligence artificielle MILO me prend un peu pour une conne, sans jamais me suggérer de poser les bonnes questions, même si j’avoue qu’a posteriori, je me demande souvent pourquoi j’avais pas pensé à certaines évidences dès le départ. Pareil, j’ai toujours pas compris pourquoi mon réflexe à mon réveil a été d’arracher mon cathéter. A l’hôpital, ce serait un peu crétin. J’ai beau me concentrer sur des safe places qui ressemblent à des films de Terrence Malick, l’ambiance reste anxiogène.
Heureusement, MILO sait me divertir et me propose un écran tactile avec accès à plein d’informations, mes réseaux sociaux, tout ça, et même le téléphone pour appeler la police. On est sur du caisson haut de gamme, même si on reste à l’étroit, et qu’entre une agression à la seringue pour sédation (va comprendre pourquoi elle ne se fait pas par le cathéter que j’ai encore au pied, mais passons) et des rats imaginaires, le rythme reste assez trépidant. Pour me tenir compagnie, je pense à voix haute et dis tout ce qui me passe par la tête, pendant que MILO passe son temps à me proposer des solutions foireuses, ou me connecter à des gens qui s’acharnent à rien expliquer, ou me faire perdre du réseau pour pas comprendre ce qu’ils racontent.
J’ai découvert un moyen de me raviver la mémoire : par la douleur. Seringue, doigt dans les plaies, électrochocs, je varie les plaisirs, d’autant que les flashes me montrent des vinyles, des pianos, des rats morts et des samares d’érables, tu parles d’un Cluedo…
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises.
Maintenant que tout est bien qui finit bien et que je peux me la couler douce dans une tunique blanche de SF sur une plage avec vue sur glaciers qu’on dirait sortie d’un fond d’écran Windows, dans les bras d’un clone qu’a une plus belle gueule que dans mes faux souvenirs, je reste un brin colère. J’ai toujours pas compris pourquoi on me laissait contacter la police à 650000km de la terre, surtout depuis un projet top secret qui risque de mettre tout le monde en panique quant à l’avenir de l’humanité. Qu’on me briefe au moins de manière un peu plus claire sur les tenants et les aboutissants. Y se sont bien marrés les enfoirés, à me répondre alors qu’ils cherchaient juste à ce que je crève, ou à m’inventer des conneries pour attendre que la jauge descende. Autant pas répondre au téléphone, non ? Bon, j’avoue que j’ai pas facilité les choses en passant mon temps à refuser les solutions de ma génitrice, et à ne pas lui laisser dire ce qu’elle ne voulait de toute façon pas révéler, va comprendre pourquoi. Je pense aujourd’hui avec un peu de honte que même le matelas avait compris que j’étais un clone, mais bon, faut pas m’en vouloir aussi, j’étais née depuis 90 minutes, hein. Je me rassure avec ça. Après tout, c’était fun. Vu l’équipement high-tech, j’espère qu’ils ont tout enregistré. Ça pourra faire un chouette film de souvenirs pour ma descendance de sous-clones qui va saloper ce paysage idyllique. Ils constateront que les dernières images de la Terre, avec masques et pandémie, ça justifie bien de s’être cassés à des années lumières.
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