Une guerre civile fait rage, et l'armée impériale bombarde les rebelles à Tokyo. Un marchand, un espion, leurs femmes, deux prostituées (Oyuki et Okin) se retrouvent dans la même diligence qui fuit la ville. En chemin, une roue cède, et le temps qu'elle soit réparée, Okin partage son panier-repas avec ces bons bourgeois qui peu auparavant les prenaient de haut. L'équipée est cependant arrêtée par une compagnie de loyalistes, menée par le capitaine Asakura. Les braves bourgeois songent à offrir leur fille à l'officier en échange de leur fuite. Ce dernier est profondément choqué. Il éconduit de même Okin, prostituée volage et insouciante qui s'est entichée de lui, lui infligeant un affront cinglant. En revanche, il tombe profondément épris d'Oyuki, sage, déterminée et fataliste (car chrétienne ?).
Sa troupe devant faire retraite, Akasura libère l'équipage. Cependant, arrivés au ferry, les bourgeois refusent qu'Oyuki et Okin montent, sans égards pour leur sacrifice. Les deux filles reviennent à leur bordel désaffecté. Un voisin leur parle d'un soldat loyaliste pourchassé par les rebelles. C'est Asakura, qui s'arrête chez eux. Oyuki le soigne et peut lui exprimer sa passion, mais jalouse et marquée par son affront, Okin prend son fusil et menace de le livrer. Oyuki la raisonne : il doit retourner à Tokyo, et de toute façon leurs statuts sociaux sont trop dissemblables. Elle-même a cependant du mal à le laisser partir, mais le dernier plan montre la barque qui dérive au loin, tandis qu'on devine les larmes d'Oyuki au premier plan.
La première partie du film est visiblement une réécriture de Boule de suif (la diligence, l'hypocrisie et l'ingratitude des bourgeois vis-à-vis des prostituées) dans un chapitre de l'histoire du Japon qui m'échappe complétement. Le début du film est d'ailleurs un peu embrouillé, car on passe d'un groupe de personnages à l'autre, jusqu'à ce qu'ils soient réunis dans la diligence. Il y a cependant deux prostituées, ce qui change un peu la donne : le contraste est frappant entre la voluptueuse et insouciante Okin, et Oyuki, personnage plus éthéré mais déterminé, un personnage profondément marqué par l'acceptation du renoncement, qui est le thème principal du film.
Au niveau contenu, ça tape aussi fort sur la bourgeoisie, avec des personnages profondément hypocrites et antipathiques (la dame aux lunettes et au chignon serré, le moustachu veule...). Ecoeuré le cocher se permet même de les comparer aux porcs qu'ils côtoient dans l'auberge. Critique sociale sans concession, une fois qu'on a passé le côté dépouillé des films de Mizogushi, où ce qui nous est montré semble toujours plat et vide pour un spectateur du XXIe s. non averti. Et encore un personnage féminin noble et désespéré, qui n'a rien à envier à l'Esther de Balzac.
Au niveau formel, maintenant, même si la copie que j'ai vue était dans un état atroce (sonorisation catastrophique avec beaucoup de souffle, bavures sur les photogrammes...), je comprends mieux que les critiques qui ont découvert Mizogushi dans les années 1950 l'ait rétrospectivement comparé à Murnau. Je pense au plan de la diligence qui file au milieu de la nuit et d'explosions en chapelet, avec un plan suivant dans une perspective oblique, avec profondeur de champ, qui accentue l'impression de désordre... Aussi un plan qui passe de différents endroits d'une façade qui forment autant de petits cadres (en haut l'état-major loyaliste, en bas un espion caché). Aussi ce plan, difficile à faire à une époque où la gestion des contrastes devaient se faire au feeling, où des soldats dans un sous-bois tirent sur une plaine en contrebas, vue comme à travers la harpe que forment les troncs noirs. Chapeau bas.
Noblesse dépouillée des arbres dont les feuilles tombent lentement en pluie. Plan sur les bottes de l'officier Asakura qui écrasent les fleurs alors qu'il marche, hors-champ, vers Oyuki pour la prendre.
Un film violent et beau, qui mériterait d'être re-sonorisé.