Paprika ne fera pas exception face à la thématique récurrente de Satoshi Kon dans son univers filmique, à savoir la dichotomie entre réalité et rêves (seul élément à part, le touchant Tokyo Godfathers). Mais si Perfect Blue était surtout onirique de par son ambiance paranoïaque anxiogène et que Millenium Actress prenait surtout pour opposition le réel et le filmé, c'est finalement ce petit dernier qui explore pleinement les horizons de nos esprits endormis.
Et l'exploration promise par Kon se veut sans limites aucune. En témoigne cette ingénieuse introduction au double personnage de Atsuko/Paprika, à savoir une psychothérapeute glaciale ayant en elle son alter ego total, une jeune femme bouillonnante de vie. La séquence montre ainsi le personnage bondissant d'un canevas iconographique à un autre, d'une image publicitaire à un extrait de film, d'un t-shirt à un écran d'ordinateur... Paprika se déplace au gré de ses envies, du réel au rêve.
Si ses origines ne nous sont pas expliquées et que les autres personnages souffriront de la même carence, le film Paprika réussit pleinement son exploration vertigineuse des rêves grâce à un travail d'animation brillant de maîtrise. Kon exploite ses effets de transition d'une matière à l'autre, peaufine ses mises en scènes colorées et propose une palette de cadrages cinématographiques profondément marquants. Il traite ainsi, par le prisme d'une infection d'un rêve sur notre réalité, les conséquences de la science des rêves et le besoin d'imagination dans nos esprits.
Si l'on regarde de plus près le métrage, Paprika ressemble à certaines nouvelles de H.P Lovecraft, comme La Chose dans La Clarté Lunaire ou La Cité Onirique de Kadath l'inconnu, en évoquant des gardiens des rêves ayant pour mission d'empêcher l'humain d'accéder à ces précieuses ressources d'études. Le rêve devient ainsi un territoire dangereux et incontrôlable, à l'image de cette parade colorée déferlant dans le morne quotidien des japonais, chargée d'un pastiche sur la politique et la religion.
Paprika opère ainsi sur deux fronts : d'abord sous la forme d'un thriller, avec cette équipe de scientifiques traquant le responsable ayant contaminé certaines personnes par le biais de leurs rêves. Puis sous la forme d'un drame introspectif avec l'inspecteur de police Kunagawa testant la thérapie des rêves avec Paprika, afin de comprendre les origines de ses traumatismes.
Les deux fronts se rejoignent à l'occasion d'un final splendide et jouissif, tant dans la forme que sur le fond, mettant un terme à cette escapade onirique que l'on aurait préféré sans fin.