Les deux séquences initiales de Paprika ont des vertus hypnotiques ; L’immersion onirique de la première a pour point d’origine un cirque : lieu baroque et inquiétant dans son ostentation, il nous rappelle les ambiguïtés du spectacle dans Lola Montès. Explorant tous les genres et sous genres possibles de l’aventure, du train d’Hitchcock à Tarzan, le parcours échevelé qui lui succède annonce un récit pour le moins mouvementé.
Mais avant que de retourner dans le délire du sommeil paradoxal, le générique du début achève de nous charmer : c’est le parcours de Paprika dans la ville. Sautillant comme le faisait sa grande sœur de Perfect Blue, elle habite la ville avec une aisance et une poésie fascinante. Passant d’une façade à un panneau publicitaire, revisitant les visages asiatiques qui placardent la cité de Blade Runner, la jeune fille mêle illusion et réalité dans une danse légère superbement animée.
La suite du récit n’est pas dénuée d’intérêt. La mise en abyme évidente entre le rêve et la création du cinéaste jalonnent un bon nombre de motifs du récit : la capacité à enregistrer les rêves, les références au cinéma, et surtout la quête de l’auteur, le responsable terroriste de cet univers mégalomaniaque.
Les jeux d’interpénétrations sur tous les supports iconiques (affiches, écrans, vitres, tapis, etc…) permettent une perméabilité des décors assez fascinante, de la même façon que les parcours dans les corridors et les ouvertures des portes sur des univers parallèles rappellent la délicieuse inquiétude des explorations spatiales d’Inland Empire de Lynch.
Les rêves en eux-mêmes sont l’occasion d’une débauche assez séduisante dans ses premières occurrences : bigarrés, fluides, déconcertants.
Mais voilà : plus le temps passe, plus on se prend à se demander où tout cela nous mène. Si tout est possible, si tout est onirique, à quoi bon ? Quand s’arrêter ?
Et de réfléchir sur les vertus de la bande annonce d’un tel film (qu’en l’occurrence je n’ai pas vue) : certaines fulgurances, superbes, composeraient une splendide séquence, pleine de promesses d’un monde jusqu’à alors inexploré.
Le long métrage épuise ce mystère et annihile les vertus poétiques de son univers, passé au rouleau compresseur de la surenchère et du grand guignol final.
Saupoudrée sur le réel urbain, Paprika a la saveur étonnante d’un vernis nouveau qui le magnifie. Mais tout est question de dosage : l’excès d’épices brule la bouche… ou pique les yeux.