[Mouchoir #21]
La vision de Mekas et les films que cela a donné ont leur propre genèse, trouvée en cours de route, sous forme fictionnelle. C'est une histoire qu'a entendu un jour le cinéaste et qui décrit Ève et Adam, tout juste chassé·e·s. Adam est assoupi à l'ombre d'un rocher, au moment où Ève, en se retournant, voit le Paradis telle une sphère, éclater en mille morceaux, comme s'il pleuvait ; en elle. Peut-être Adam ressent-il la même chose, mais elle n'ose le réveiller.
Dans Paradise Not Yet Lost, Mekas joue le rôle d'Ève, à la recherche de ces fragments de Paradis, les traquant avec sa caméra, dans son quotidien éloigné des pragmatismes et des technologies parasitant nos habitudes, s'efforçant de rester toujours proche de la Nature, idéaliste et romantique, à l'affût des petits détails quotidiens, des éclats de beauté. Et les images qu'il trouve, il les dédie à son Adam à lui, à sa petite Oona de trois ans, qui continue de rêver, de voir le monde avec les yeux d'une enfant.
C'est peut-être ça la caméra de Mekas, un regard enfantin sur le monde, qui passe d'une chose à l'autre en un éclair, sans pour autant les connecter entre elles tout de suite, prenant toute chose vue comme telle — pleine, entière —, en cherchant du même coup ce qui s'y trouve autour, multipliant les points de vue pour mieux comprendre ce qui semble essentiel au monde et à la vie.
D'ailleurs, chose amusante lorsqu'on connaît la maîtrise de Mekas, les erreurs d'exposition (de sur-ex) surviennent principalement à New-York, en paysage urbain, tandis que lors du périple autour du monde qui se déroule surtout en campagne, les couleurs retrouvent leur pigmentation et l'halo blanc qui perturbait la vision a disparu. Comme si l'erreur technique de Mekas produisait un lapsus révélateur sur son rapport au monde, surtout lorsque l'on sait — s'il fallait filer la métaphore —, que c'est bien le révélateur photo qui peut produire ces différences d'exposition. On ne voit bien qu'avec le cœur.
7,5.