Il y a 5 ans, Steven Soderbergh se targuait d’arrêter le cinéma qui n’avait plus rien à proposer, lui préférant la télévision. Un mal pour un bien car cela a permis au cinéaste d’accoucher de la sublime et trop courte série The Knick qui reste très certainement son meilleur travail à ce jour. Sauf que le père Steven n’a pas tenu sa résolution très longtemps. Le voilà donc reparti sur son rythme de croisière plutôt intensif (à savoir quasiment un film par an) dès 2017 avec Logan Lucky. Le film est une sympathique variation de sa saga à succès Ocean’s dans le monde des bouseux, mais qui ne méritait pas forcément de sortir de sa retraite. C’est avec son projet suivant que Soderbergh attire cependant la curiosité. Friand des expérimentations en tout genre, le réalisateur décide pour Paranoïa d’avoir recours uniquement à l’iPhone. Alors que certains ne jurent encore aujourd’hui que par la pellicule et sa bonne grosse caméra qui l’accompagne, Soderbergh embrasse pleinement le XXIème siècle et dégaine son portable.


Bien que Sean Baker l’avait déjà expérimenté au travers de Tangerine, c’est la première fois qu’un cinéaste reconnu se lance dans cette opération, d’autant plus pour mettre en scène un film plutôt grand public. On ne va évidemment pas résumer Paranoïa à son aspect technique mais il est cependant important de faire le point là-dessus. Forcément, on remarque dès les premières prises de vues la particularité de l’image fournie par l’iPhone. La mise en scène de Soderbergh y répond également, multipliant les grands angles ou un certain travail sur la profondeur de champ. D’autant plus que l’aspect rendu par l’iPhone, couplé au travail sur la photographie fait par Soderbergh lui-même, confère un côté très voyeuriste et « invasif » renvoyant aux propriétés de ce genre d’images qui inondent les réseaux sociaux. Une apparence qui va permettre d’instaurer un malaise et comme le titre le suggère, un climat de paranoïa.


Parce qu’évidemment, ce choix d’utiliser l’iPhone n’est pas anodin et n’est pas un simple caprice esthétique. Il y a une véritable réflexion avec le propos de l’histoire. Venons-en donc plus précisément à ce que nous raconte Soderbergh dans Paranoïa. Sawyer Valentini est une employée de banque qui a redémarré sa vie en Pennsylvanie après avoir fui Boston à cause d’un harceleur. Après avoir confié ses problèmes à une psychologue, la voilà internée contre son gré dans une clinique psychiatrique. Essayant en vain d’alerter la police ou sa mère, la jeune femme se retrouve prise au piège, et surtout commence à douter de sa raison. Le tout s’accélère encore plus lorsqu’elle croit reconnaître en l’un des infirmiers, son ancien harceleur. La frontière entre le réel et la folie devient de plus en plus fine. Forcément, l’aspect invasif mentionné au-dessus entre en résonance avec ce qui arrive au personnage incarné par Claire Foy. Victime de l’un des grands maux du XXIème, le harcèlement, Sawyer développe une paranoïa, voyant son bourreau à la place de nombreux hommes. Un harcèlement qui est d’autant plus facilité aujourd’hui grâce aux techniques modernes, à travers Internet et les réseaux sociaux. Soderbergh fait même dire à Matt Damon, le temps d’un caméo, que le téléphone devient le pire ennemi de Sawyer.


Scrutée par la caméra de l’iPhone, Sawyer se retrouve donc constamment épiée par son ennemi. Ses moindres faits et gestes, ses moindres paroles, difficile de savoir à qui elle peut se confier. L’atmosphère de cet hôpital psychiatrique devient de plus en plus angoissante. Soderbergh en profite pour développer un autre sous-texte social en parallèle à celui du harcèlement. Le cinéaste attaque de front certains établissements internant de force ses patients pour mettre en place une arnaque à l’assurance maladie. Là encore, le côté pervers de l’entreprise détériore l’état mental de la jeune femme. En mettant tout sur le compte de sa paranoïa, Sawyer se retrouve livrée en pâture à son cauchemar. La prestation de Claire Foy est à ce niveau exemplaire. L’actrice britannique révélée par son rôle d’Elizabeth II dans le hit de Netflix The Crown dévoile une nouvelle facette de son talent. Elle fait de Sawyer un personnage au caractère bien trempé, torturée par ses démons, mais faisant preuve d’abnégation pour se sortir de cet enfer. Car bien que Soderbergh s’amuse à jouer avec la limite entre folie et matérialité, Sawyer est prise dans l’engrenage de problèmes bien réels. Paranoïa révèle alors une image de film d’horreur d’une efficacité terrassante.


Avec Paranoïa, Soderbergh opère un retour bien plus intéressant qu’avec Logan Lucky. On viendra jeter un œil, titillé par la curiosité de cette utilisation de l’iPhone, et on finira retourné par une série B horrifique percutante, n’hésitant pas à balancer avec force son sous-texte social. On espère revoir Soderbergh aussi incisif dans ses prochains travaux, et notamment son film sur les Panama Papers qui est d’ores et déjà en production.


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Bondmax
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le 12 juil. 2018

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