Le petit frère insipide de Donnie Darko

Paranoid Park a cette tendance insupportable des rapporteurs de l’innocence à la mettre en exergue avec une totale complaisance. Il a raison de ne pas la bousculer puisque le personnage concerné, un imberbe mollasson, est parfaitement insondable. Il est à ses propres yeux un absent, un spectateur. Le lourd secret qu’il enfouit ébranle toutefois cette douillette léthargie. Il va s’en servir pour accélérer le processus de maturation. Gus Van Sant montre par là les effets de la création, la clé du développement à son sens.


Malgré certains agacements critiques, le film exerce une séduction. Cette banalité décalée, cette sensibilité si unique de Van Sant ont un charme exceptionnel (l’inadmissible Gerry lui-même avait cette force intime). Van Sant n’est pas doué pour les mots mais bien pour la mise en scène et son film n’est pas simplement un poème visuel, mais un parcours dans l’état d’esprit de ce jeune homme. Alex s’entretient dans un état déresponsabilisant, proche du fantôme, atteint par aucune espèce d’émotion et imperméable au drame.


Même si certaines expressions distordues sont à la limite du clip pour beaufs stone, le travail sur le son et la photographie ouatée de Christopher Doyle (collaborateur récurrent de Wong Kar-Wai – 2046) rapprochent le film de l’expérience sensorielle. Une expérience proche de l’hypnose, à laquelle on ne croit pas toujours intellectuellement, mais dont le lyrisme vient à bout des résistances.


C’est une de ces œuvres parvenant à valoriser un sujet (ce garçon vacant) qu’on pourrait négliger, parce qu’elle connait tout de son essence blessée, plus que lui n’en perçoit encore. Nous-mêmes devenons des accompagnants empathiques, gagnés par ce calme profond, cherchant avec lui la place (la famille de substitution) qu’il pourrait occuper dans un espace où les options s’imposent à lui. Ce qui nous attache in fine, c’est la démonstration de cette puissance d’inertie au seuil du basculement vers l’état adulte.


https://zogarok.wordpress.com/2017/04/27/paranoid-park/

Créée

le 24 nov. 2018

Critique lue 260 fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 260 fois

3

D'autres avis sur Paranoid Park

Paranoid Park
Heisenberg
7

Innocence

Primé à Cannes, j'avoue être allé à reculons devant le film surtout après l'expérience ou plutôt les expériences — car il s'agit de deux choses très différentes — mitigées que furent Gerry et...

le 1 nov. 2011

28 j'aime

4

Paranoid Park
Lubrice
3

Critique de Paranoid Park par Brice B

Des films de Gus Van Sant, on pourrait tirer un précepte toujours appliquable : c'est quitte ou double ! Empruntant ça et là ses ingrédients préférés (on notera une accroche récurrente avec...

le 13 nov. 2010

20 j'aime

2

Paranoid Park
EricDebarnot
8

Le meilleur du cinéma moderne

Et si "Paranoid Park" illustrait ce qu'il y a de meilleur dans le cinéma "moderne", aujourd'hui, près de 40 ans avant que ce concept soit né puis mort sous les coups du cinéma de divertissement ? Une...

le 22 avr. 2017

15 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2