Après séance (vu le 12 juin 2019)

Bong Joon-ho n’est pas rancunier. Deux ans après avoir connu les huées, sifflets et autres « incidents techniques » lors de la projection cannoise d’Okja, le réalisateur quitte la croisette avec une ovation de huit minutes et une Palme d’or décernée à l’unanimité pour son dernier long métrage Parasite. Une manière peut-être de récompenser le retour du cinéaste dans le « vrai grand cinéma » des salles obscures, après son excursion insensée chez les terribles méchants Netflix… Bref, je m’égare. Ce n’est évidemment pas pour ces raisons que Parasite a obtenu la Palme d’or, récompense uniquement artistique et surtout pas politique (lol). Je m’égare, je m’égare... Pas tant que ça puisque Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français parlait en 2017 d’un « parasitage de Netflix prenant en otage spectateurs et artistes ».

La dernière œuvre de Bong Joon-ho relate justement un parasitage. Pas celui de l’industrie du cinéma français davantage flippée de perdre son biff que son « exception culturelle », mais celui d’une très riche famille dans la Corée du Sud contemporaine. La paisible vie de la famille Park va en effet être bouleversée lorsque Ki-woo (Choi Woo-sik), issu d’une famille beaucoup plus modeste, va devenir le professeur particulier d’anglais de la fille ainée Da-hye (Jung Ziso). Le début d’un engrenage infernal que je ne spoilerai pas (pour l’instant) conformément aux injonctions du réalisateur…

#DontSpoilParasite

SUR LE FOND : 6,5 étoiles

Tantôt une comédie sociale, tantôt un thriller horrifique, à mi-chemin entre la satire et le gag burlesque, Parasite est difficilement classable. Pas étonnant, Bong Joon-ho veut réaliser des films de genre mais se refuse d’en respecter les codes… Délivré des carcans habituels (comprenez occidentaux), Parasite est finalement un film à tiroirs dans lequel chaque péripétie est une occasion de radoter son message marxiste. Dans une société où les inégalités sont probablement plus difficiles à dépasser qu’au XIXe siècle, les riches vont être confrontés à des pauvres n’ayant que l’ambition et la fourberie comme ascenseur social.

La lutte des classes va en effet être au cœur de ce film, et comme dans la plupart des œuvres traitant cette thématique, le pauvre use de son sens de la débrouille pour piéger le riche, crédule et naïf… C’est facile et efficace. Réalisateur profondément humaniste, Bong Joon-ho crée des personnages auxquels on s’attache naturellement. C’est pour cette raison que la première moitié de Parasite est à mon sens la plus réussie. On prend plaisir à voir cette famille nécessiteuse dérouler son plan machiavélique sans encombre, malgré les impacts sur la famille Park et leurs employés. Le spectateur, confortablement installé dans son fauteuil, a tendance à être du côté du plus démuni et à pardonner ses éventuelles libertés avec la morale ou la légalité.

Souvent, pour être sûr que vous soyez du bon côté, les scénaristes caricaturent le riche en une espèce d’ogre détestable et imbu de lui-même. Bong Joon-ho ne tombe pas dans ce travers. La famille Park est dupe, mais pas mauvaise. Elle a des valeurs, et même si la femme (Cho Yeo-jeong) devient superficielle durant le dernier acte, elle souhaite avant tout le meilleur pour sa famille. La seule ombre au tableau est probablement la fixette surfaite du père (Lee Sun-kyun) sur « l’odeur des pauvres » … Même si cet élément a une importance majeure sur le développement du personnage de Ki-taek (Song Kang-ho), cette obsession est une grosse ficelle parmi tant d’autres, prétexte pour l’avancement du scénario.

Notamment dans la scène de la Garden Party où le dégout (sur-joué) de M. Park provoque la folie de Ki-taek. Bien pratique, mais pas crédible deux minutes. Face à une telle situation, il y a probablement des choses plus répugnantes que l’odeur du type…

Au final, on est tous le parasite de quelqu’un. Évidemment, la famille pauvre est un parasite pour les Park. Mais au fur et à mesure que Ki-taek est humilié et est rappelé à sa condition de pauvre par son odeur, la famille Park, et notamment le père, devient un parasite pour lui. Et durant la scène de l’inondation, il se pourrait même que d’autres parasites cherchent à communiquer… Les lumières clignotent en effet de façon étrange. Existerait-il une famille vivant sous l’entresol ? Merci John_Hiboy pour cette intéressante théorie !

L’occasion de mentionner plusieurs éléments mis en place dans Parasite qui, au final, n’aboutissent sur rien. Le message AUSEKOUR (avéré celui-là) capté par le petit Da-song (Jung Hyeon-jun) lorsqu’il est dans sa tente qui n’est pas utilisé comme s’il manquait 15 minutes au film. Mais également le pote de Ki-woo qui disparait totalement après son intervention, personnage purement prétexte, les chiens de la famille Park qui ne servent à rien (à part prouver que la gouvernante connait bien la maison), et la relation entre Ki-woo et Da-hye Park qui n’est finalement pas plus développée que ça…

S’agit-il d’incohérences ou d’entorses délibérées à la loi de conservation des détails ? Toujours est-il que ces pistes abandonnées perdent un peu plus le spectateur pour mieux le surprendre au milieu du film. Parce que passée la première heure, Bong Joon-ho rompt le contrat passé avec nous qui pensions mater tranquillement une comédie satirique.

On est quand même assez loin du gros twist de fou que certains survendent. Une surprise, certes. Lorsque Moon-gwang la gouvernante (Lee Jung-eun) s’attarde dans la réserve, j’ai d’abord cru à un piège pour faire venir Chung-sook (Jang Hye-jin), puis qu’elle cherchait à récupérer une sorte de trésor, mais quand elle crie « Chéri » en dévalant les escaliers dans un plan-séquence étriqué… J’avoue que ma mâchoire en est tombée.

Malheureusement, l’effet n’est pas capitalisé et la tension retombe immédiatement. La seconde partie de Parasite est plus extravagante. Le mélange des genres s’accélère et les péripéties s’enchainent crescendo jusqu’à devenir complétement grotesques. Un ton accentué par le « sur-jeu » global de tous les acteurs (mais je précise que je suis néophyte s’agissant du cinéma sud-coréen). Il n’y a à mon sens que Song Kang-ho qui est au-dessus du lot. Acteur fétiche de Bong Joon-ho, déjà présent dans Memories of murder, The Host et Snowpiercer, il incarne avec sincérité le sage fataliste persuadé que le meilleur plan est de ne pas en avoir.

Peut-être s’agissait-il aussi de la méthode de Bong Joon-ho pour la réalisation de son 7ème film ?

SUR LA FORME : 8 étoiles

Si sur le fond, Parasite ne parvient pas totalement à rendre son message audible, il peut néanmoins se reposer sur une réalisation extrêmement soignée. La mise en scène est en effet hyper maitrisée, d’une précision chirurgicale, frôlant presque l’académique. Sur ce point, Bong Joon-ho livre une véritable leçon de cinéma sur la gestion des espaces, la constitution des plans, la maitrise du cadrage et surtout sur les façons dont ces éléments peuvent délivrer des messages. Le plan d’ouverture sur les chaussettes qui sèchent en est un exemple marquant (présent dans la bande-annonce à partir de 1’35) :

Plan sur une fenêtre vue de l’intérieur d’un appartement. Déjà, nous avons un cadre dans un cadre, une manière de renforcer la sensation de claustrophobie que vit la famille. A travers cette fenêtre, nous voyons la rue au niveau du sol. Les véhicules passent et les poubelles trainent sur le trottoirs… Pour renforcer cette idée « niveau du sol », quatre paires de chaussettes sèchent au premier plan. Des chaussettes, ce qu’on met à nos pieds (en règle générale) et qui par conséquent touchent le sol. Ce vêtement qui sépare le corps de la souillure du sol, et qui manque étrangement à toute la famille sur l’affiche du film… Bref, nous sommes tout en bas, au niveau du sol. Pourtant, un travelling vertical nous montre le hors-cadre, ce qu’il y a encore plus bas, sous le sol. On voit alors le personnage de Ki-woo accroché à son téléphone portable. On découvre ensuite toute la famille grâce à un joli plan séquence d’exposition dans l’espace confiné de leur appartement.

Ainsi, très souvent, la position sociale du personnage va être représentée de façon spatiale. La famille pauvre crèche en bas de la ville, dans un appartement en entresol. La famille Park habite tout en haut de la ville, dans une immense maison à plusieurs étages. La stratification de la société est ici flagrante, car elle est visuelle. D’ailleurs, durant la scène de l’orage, lorsque la famille de Ki-woo regagne son quartier. Nous constatons leur relégation sociale par leur descente physique (des escaliers, des tunnels etc.). Et des exemples comme celui-là, où le message est uniquement passé par la mise en scène, Parasite en contient une multitude. Il y a vraiment un gros travail sur le champ et le hors-champ, et sur les différents plans d’un cadre.

La richesse, ça a le même effet qu’un fer à repasser. Ça rend les gens lisses.

Faut dire que derrière la caméra, ce n’est pas n’importe qui. Fer de lance de la nouvelle vague des « enragés » en Corée du Sud, Bong Joon-ho n’en est pas à son coup d’essai. Avec entre autres, Memories of murder (8.2), The Host (6.9), Mother (7.8) ou plus récemment Okja (7.1), le gars se tape quand même avec Parasite une moyenne de 7.7 sur SensCritique… Propre. Même s’il retrouve avec ce projet un budget plus modeste (11,8 millions de dollars par rapport aux 40/50 millions de ses deux derniers projets), cela ne se fait pas au détriment de la qualité. Il s’est notamment entouré de Hong Kyung-pyo, déjà directeur de la photographie sur Snowpiercer et Mother. Et c’est payant, Parasite est un film beau, travaillant sa lumière et particulièrement le soleil. Mais rien n’est vraiment gratuit ou juste contemplatif. La photo est elle-même porteuse de message. Tandis que l’environnement des pauvres est sombre, sale, brunâtre, et chargé, celui de la famille riche est lumineux, chaleureux et épuré. Bien que le film soit un quasi huis-clôt, les décors sont magnifiques.

Bref, même si Parasite tâtonne sur le fond, il étonne sur la forme. En plus de sa qualité générale, il y a en effet quelques petites trouvailles comme cette transition lors de la scène de l’inondation ou la ligne de l’eau fait la coupe sur le plan suivant. Ce n’est pas extraordinaire, mais ça a le mérite d’être original. Tout comme la B.O du film composée essentiellement de mélodies mignonettes au piano, de cordes et de musiques classiques assez loin première vue du thriller qui se veut hitchcockien.

C’est finalement assez paradoxal : Parasite est original, pour le meilleur (la forme) et pour le pire (le fond).

Bonus acteur : NON

Malus acteur : NON

NOTE TOTALE : 7 étoiles

(+1 sur la note suite à revisionnage)

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le 19 févr. 2023

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Spockyface

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