4 oscars, une palme d'or, un golden globe et moultes distinctions encore suffisent à s'imaginer la nature gargantuesque de la nouvelle oeuvre cinématographique de Bong Joon-Ho. Oui, Ce film est un chef-d'oeuvre de cinéma, si ce n'est même le film de la décennie 2010. Encore faut-il le voir et être emporté par sa férocité pour comprendre que toutes ses distinctions sont bien peu de choses face à ce qu'elles prétendent distinguer. Ainsi, par exemple, oscariser Parasite a surtout fait remonter la légitimité d'une Académie avant tout opportuniste et, osons l'allusion, parasitique à la réussite de certaines oeuvres qu'elle "couronne". En bref le film ne ressort pas grandi de tous ses prix, il n'a pas besoin de ça. Respect Director Bong !
Plusieurs mois après sa sortie et plusieurs visionnages dans l'intervalle, que reste-t-il encore à voir dans Parasite ? Avant de se repaître à nouveau de son examen survitaminé, dont chacun se fera son avis, sur les rapports de classes sociales, le film se revisionne assurément pour toute cette série d'instants délicieux qui rassasieront les cinéphiles pantagruéliques : le père odorant qui se cogne la tête contre un meuble, la comptine "Jessica, Only child, Illinois, Chicago" de la fille experte en faux, la tête hilarante et "foutage de gueule" de Ki-taek quand il se retourne un mouchoir à la main, la séquence pêchue de la pêche, le fils, fan d'indien, qui tire la langue depuis la fenêtre d'une voiture, la mère, ex-championne olympique de lancer de poids, qui s'enserre dans sa certitude que les riches sont un peu plus gentils parce qu'ils sont riches, le rire du père chef d'entreprise, les excursions anglophones de la mère naïve, son excitation par rapport à la cocaïne aussi, le retour d'une gouvernante dont on ne saura pas pourquoi elle semble avoir pris des coups au visage (peut-être un des sujets de la série que Bong Joon-Ho développe pour HBO avec Adam McKay), la musique doucement extraterrestre lors d'une descente d'escaliers, la discussion entre le père et le fils qui enlace un gros caillou dans un gymnase, le rêve "qu'un jour..." de ce même fils qu'on a tous pu faire en voyant nos aînés galérer.
La distinction "riche"/"pauvre", n'édulcorons pas inutilement les mots de ce que Bong Joon-Ho explique lui-même dans ses interviews, est au centre du film et très certainement à l'origine de son succès critique, notamment du fait de la virtuosité de son traitement ici. Mais est-ce bien raisonnable de ne résumer le film qu'à cela et de le vendre comme un énième film social ? Cela aura fait défaut à Joker, film faussement social dans un sens, légèrement démagogue dans l'autre qui aura été érigé en symbole maladroit mais milliardaire (au box-office) des sursauts sociaux essaimant aux quatre coins du monde. Parasite n'est pas qu'un film de versus des classes, bien loin de là, et ne doit pas être érigé uniquement en tant que tel.
En tant que film d'auteur d'abord, il ne laisse pas grande place à la démagogie car tout le monde y est déjà impitoyable avant de céder à ses pulsions. Les pauvres parfois plus que les riches quand il s'agit pour eux de gagner de l'argent (les remplacements successifs de la première moitié du film), les riches parfois plus que les pauvres quand il s'agit pour eux de le dépenser (la discussion entre Ki-Taek et Mr. Park à l'abri d'un buisson). Le message de Bong Joon-Ho est alors, comme sur l'affiche française faussement parodique du film pour la semaine des comédies dans certains cinémas, qu'on est tous le parasite de quelqu'un. A se marcher tous les uns sur les autres, avec clairement des privilégiés et des moins privilégiés, tout cela ne finira jamais bien pour personne.
En tant que film de genre(s) ensuite, il pourrait être dit que Bong Joon-Ho a voulu faire un film pour les contenir tous (et je parle ici notamment de ses précédents films) : thriller, comédie, satire, film de monstre à certains égards, horreur, drame, catastrophe. Cette superposition de registres densifie le film tant dans sa forme que dans son fond et se fait le miroir de ce constat de strates sociales qui ne se mélangent pas directement mais se parasitent à de nombreux égards pour survivre. in fine, les greffes successives des registres convergent vers l'acception qu'il y a beaucoup à perdre pour pas grand chose à gagner, tout cela dans une conclusion shakespearienne et un mystère gardé secret.
Parasite est un film produit après deux passages de Bong Joon-Ho du côté de la production américaine pourrait-on dire (une mauvaise expérience de production avec Weinstein de ce que j'ai pu comprendre et une production Netflix avec Okja). En revenant "à la maison" la production devient moins "pharaonique" malgré la reconstitution en bassin de tout le quartier de la famille de Ki-Taek et la fabrication complète de la maison des Park. Face à ce qui pourrait se voir comme une réduction de moyens mais toujours guidé par un storyboard apparemment millimétré, Bong Joon-Ho parvient à transcender, avec toute une équipe d'orfèvres, le cinéma qu'il avait réalisé jusque là. Certes ses thèmes se répètent peut être, d'où sa qualité d'auteur, mais ils n'en restent pas moins impactants et impactés par sa cinéphilie grâce à la forme dynamitée en partie influencée, sans doute, par la radicalité de cinéma qu'a été Mad Max : Fury Road qu'il a souvent mentionné dans ses films préférés.
En conclusion, je ne sais pas si les autres revisionnages fatigueront réellement mon appréciation du film... que j'adore effectivement beaucoup. Jusqu'à l'adulation presque car dans Parasite, il y a encore tout à revoir et tout à commenter, un film pour le moment inépuisable, beaucoup de moments qui sont autant de cerises sur un gâteau, une boucle terrible sur le monde tel qu'il est ou tel qu'on se le conçoit, c'est selon. Bref, tel un cafard derrière un radiateur, je vais me greffer contre la chaleur de ce film féroce avec longtemps le souvenir de Director Bong admirant son oscar comme un gamin ramassant une vraie flèche d'indien.