La maison du plus fort est toujours la meilleure.

Vivant dans la misère avec sa famille, Ki-woo (Choi Woo-sik) se voit un jour offrir l’occasion par son ami de donner des cours particuliers à une jeune fille dans la maison d’une famille particulièrement riche, les Park. Constatant le luxe extrême dans lequel vit son élève, Ki-woo entrevoit là la possibilité de sortir sa famille du ruisseau, au prix d’un certain nombre de malhonnêtetés. Mais le plan parfait n’existe pas car il y a une chose que ni Ki-woo ni sa famille ne peut anticiper : les imprévus. Et plus l’arnaque est grande, plus les imprévus sont dangereux…


On n’attendait évidemment pas un mauvais film de Bong Joon-ho, mais il y avait lieu d'avoir quelques craintes sur celui-ci : qu’un film remporte la Palme d’Or au festival de Cannes n’est jamais signe de qualité, surtout quand on nous annonce que son thème principal est la lutte des classes.
Or, jamais la lutte des classes n’avait été abordée sous un angle aussi intelligent qu’ici. Loin du marxisme attendu, Bong Joon-ho nous délivre à l’inverse un discours s’émancipant rapidement de l’habituelle opposition riches/pauvres, qui n’est guère ici qu’une toile de fond, pour disséquer les rapports humains dans toute leur complexité, sans jamais simplifier l’équation.


A l’occasion d’une hallucinante séquence de descente aux enfers, au sens littéral comme au figuré, brillant pivot d’un film constamment inattendu, Bong Joon-ho redistribue les cartes de la manière la plus intelligente qui soit, en nous déclarant qu’en réalité, le vrai propos du film n’est pas de dresser les riches contre les pauvres, bien au contraire, mais de nous montrer jusqu’où l’homme est prêt à se corrompre pour atteindre son but et profiter sans remord de la réussite des autres afin de se hisser de quelques échelons sur l’illusoire échelle du progrès social et économique.
Ainsi, Bong Joon-ho nous mène du territoire de la lutte des classes dans celui de la lutte de classe, entre personnes d’un même milieu social, prêtes à sacrifier tous ceux qui oseront s’interposer entre eux et leur but, même si ces derniers sont autant dans le besoin qu’eux : ce n’est pas tant la richesse qui corrompt que le désir de richesse.


Cette leçon détonante, si Bong Joon-ho n’emploie pas la plus grande subtilité pour la mettre en image, il met néanmoins tout son art à l’illustrer avec une intelligence et une vivacité hors du commun. Alors que Parasite avait tout pour être un drame très noir, il se révèle en réalité une hilarante comédie, où l’on rit autant que l’on pleure et que l’on frissonne. Le drame est certes très présent, mais jamais il ne prend le pas sur la comédie, dont les scènes sont sans nul doute les scènes les plus réussies, tant leur surréalisme sert le propos du film avec une pertinence unique en son genre.
Il n’y a qu’à constater la formidable séquence où


le salon des Park devient le ring d’un improbable combat entre anciens et nouveaux domestiques sur fond du génial In ginocchio da te, de Gianni Morandi.


Hilarante dans la forme, cette scène qui voit deux groupes de personnes représentant le même milieu social s’étriper dans le salon luxueux d’une maison qu’ils ont usurpée résume à merveille le génie de Bong Joon-ho : regorgeant d’idées de mise en scène, son sens aigu du décalage provoque un inévitable fou rire (encore accentué par la scène qui suit) tout en sollicitant la réflexion du spectateur, tant le chaos qui nous est montré choque par son évidente incongruité.


A cette image, Parasite surprend mais toujours avec la retenue qui convient, ne basculant jamais dans une violence gratuite. Il faut dire que la caméra de Bong Joon-ho se montre maîtrisée de bout en bout par son excellent directeur de la photographie Hong Kyeong-pyo, ce dernier donnant un sens à chacun de ses cadrages.
Complété par une bande originale exceptionnelle signée Jeong Jae-il, qui se montre un véritable acteur du film avec ses mélodies baroques et ses chœurs harmonieux, tant elle contribue au décalage permanent de l’œuvre, le film de Bong Joon-ho entre dans cette catégorie si belle mais si sélective de l’art total, de celui qui, entièrement pensé et réalisé pour son spectateur, n’existe que par lui, que pour lui, et pour le formidable cadeau qu’il lui fait, hommage sincère et plein à la majesté de cette si noble forme d’art qu’est le cinéma.

Tonto
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le 6 juin 2019

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Tonto

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