Parasite est un film étonnant qui m'a laissé derrière soi comme un arrière-goût de trésor volé sous les yeux. C'est indéniablement un bon film, mais par les choix scénaristiques qui ont été faits, je trouve - et c'est un avis tout personnel - que le chef d'oeuvre a été manqué de peu. Bong Joon-ho signe ici un de ses meilleurs films mais ne saisit pas l'opportunité d'en faire un ovni inclassable du cinéma coréen.
Afin de m'expliquer, il faut savoir que je divise le film en trois parties, de durée à peu près égale. La première partie - l'installation de la famille Ki-Taek au sein des Park - dure jusqu'à ce que l'ancienne gouvernant sonne à la porte et fait figure d'introduction, de mise en abîme. La deuxième - celle qui préfigure le cœur du scénario - se déroule à partir de la fin de la première partie jusqu'à ce que toute la famille s'échappe de leur cachette sous la table du salon. Finalement, la dernière commence à partir du déluge et se termine par le générique de fin.
La première partie du film est un bijou de réalisation qui laisse le spectateur bouche-bée. L'ingéniosité du stratagème des Park est parfaitement réalisée par Bong Joon-ho avec cette manière unique qu'il a d'enchaîner les éléments sans laisser au public la moindre seconde de répis telle une machine bien huilée dont les rouages s'emboîtent parfaitement. Agrémentée par une musique classique brillamment sélectionnée, cette partie donne une impression de fluidité extrêmement agréable. C'est également le moment où se met en route ce registre si spécial qui fera la patte du réalisateur coréen : une manière rare de faire côtoyer burlesque et critique sociale au sein d'un mélange des genres qui peut faire passer d'humoristique à grave n'importe quelle phrase prononcée. On se délecte intérieurement de ce spectacle comique avec toujours une question en tête : qu'est ce qu'il va bien pouvoir se passer ? On a jamais eu affaire à un scénario pareil auparavant, où est la trame, où est le suspense ??
C'est alors qu'arrive la seconde partie dans une sorte de climax incandescent. Une sonnette un soir de pluie suffit à faire redescendre l'atmosphère d'un cran façon Stephen King. On sent que quelque chose se passe mais sans pouvoir mettre un mot dessus. Et là, au moment où la porte secrète du sous-sol s'ouvre, le spectateur assiste à une scène irréaliste où violence et humour se mélangent dans un fatras insensé digne des plus grandes pièces de Beckett. J'aimerais bien insister sur ce point car c'est le cœur de ma critique ; là où Bong Joon-ho produit le meilleur effet sur son public, c'est quand il n'essaye pas d'en tirer du sens. Quand le public est submergé par un spectacle théâtral absurde dont il ne comprend pas bien ni l'issu ni l'ampleur mais qu'il reste béant à observer ces personnages composer un manège ubuesque.
On l'aura deviné, c'est la dernière partie que je n'ai pas aimée et qui m'a emmenée à penser que le chef-d'oeuvre se serait joué à peu. La scène du déluge est longue et sans grand intérêt pour le scénario, si ce n'est pour accentuer le contraste entre famille riche et pauvre qui est déjà suffisamment appuyé tout au long du film. Mais surtout, la scène d'anniversaire produit un ressenti dérangeant, comme lorsque l'on pousse une blague gentillette un peu trop loin et qu'elle devient blessante. Car passant d'une comédie sans nom ni sens à une scène littéralement sanglante, on se demande alors s'il était nécessaire de mélanger les genres à un tel niveau. Et c'est là que se produit une incohérence scénaristique qui fait tourner le film non plus du côté de l'ovni cinématographique - film totalement jouissif d'absurdité d'où il tirait toute sa force et son originalité - mais du film aux codes pseudo-hollywoodiens où la violence, loin d'être sublimée, se réconforte elle-même dans une gratuité incohérente. Choix étrange, comme si le réalisateur s'amusait infantilement à retirer les bases du beau château de carte qu'il venait de construire minutieusement pendant une heure et demi.
Cerise sur le gâteau, la scène de fin se voit affublée d'un aspect moralisateur où le père se voit condamné à la rédemption, ce qui ne manque pas d'achever une troisième partie déjà souffrante et insoutenable de longueur. Alors que Parasite se composait progressivement comme une pièce de théâtre absurde en huis-clos, elle termine par devenir un film aux codes et à la morale hollywoodienne. Et c'est bien dommage.
Toute la question reste bien-sûr de se demander comment la fin aurait pu être différente ? Je n'ai pas de réponse précise à ce sujet mais j'aurais du moins souhaité une fin dont le non-sens eut été égal à l'absurdité dont le film fit preuve lors des deux premières parties et qui - je me répète - plaçait le film dans un autre univers cinématographique où peu de réalisateurs se sont aventurés.
Le film reste bien évidemment très bon, acerbe et juste dans ses critiques de la société coréenne tout en préservant une affection particulière pour les personnages, ce qui en fait définitivement un film spécial méritant sa palme d'or à Cannes.