Parfaites, en voilà un documentaire auquel on ne s’attendait pas. Réalisé par Jérémie Battaglia et mettant en scène l’équipe canadienne de nage synchronisée, ce documentaire cherche à révéler les mystères, injustices et fausses rumeurs sur ce sport parfois délaissé, raillé ou sous-estimé. À une époque où moult films sur le football, sport le plus populaire du monde, voient le jour, autant dire que Parfaites semble faire pâle figure et ne pas faire le poids. Et pourtant il fait du bien. Ce manque de diversité systématique agace très rapidement. Certes Pelé est un grand joueur, mais le football n’a plus beaucoup de secrets pour ses adeptes, quand des sports plus discrets peuvent apporter ce vent de fraîcheur attendu. Et c’est là qu’on découvre un sport majoritairement féminin sortir sa tête de l’eau. Une sacrée surprise que le réalisateur nous partage. Grâce à un français peu connu du nom de Gilles Lellouche (rien que ça), le paysage cinématographique français s'est chargé de me contredire, et en beauté avec Le Grand Bain, excellent film sorti quelques temps après, venu redorer le bonnet de bain de ce sport magnifique.
Pour ce documentaire, Jérémie Battaglia décide de suivre une équipe sous-estimée des compétitions durant leurs entraînements sur la période de 2 compétitions des JO (soit environ 8 ans). On suit donc une équipe de 8 nageuses évoluer ensemble, s’entraîner ensemble, vivre ensemble et partager leur passion et leur quotidien ensemble. Et forcément rire ensemble dans les moments de joies, s’émerveiller ensemble dans les moments de surprises, mais aussi pleurer ensembles dans les moments de tristesse.
Au même titre qu’on parle de natation synchronisée, la plus grosse qualité de ce documentaire réside dans la précision de son montage. Des plans et des images choisies à la seconde près et au millimètre près pour des chorégraphies à la fois dans l’eau et hors de l’eau absolument magnifiques. Parsemé de ralentis pour bien analyser les déplacements et les mouvements de corps des nageuses, on est bien vite obligé de constater la haute performance des sportives. On se rend compte à quel point le terme « synchronisé » dans le nom de la discipline est important. Arriver à un tel niveau de performance demande un entraînement éprouvant, une coordination exemplaire, une confiance envers ses coéquipières et son capitaine sans faille et un mental d’acier. Pour rendre honneur à une discipline aussi éprouvante, il semblait impératif que la synchronisation soit également le maître mot du long-métrage d’un point de vue technique. C’est bien évidemment le cas avec un rythme et une maîtrise impressionnants.
Parfaites est bien plus qu’un simple documentaire, c’est une véritable œuvre en mouvement. Chacun des éléments se renvoient les uns envers les autres. Les gestes et chorégraphies répondent à une scénographie générale, qui répond elle-même à la maîtrise de l’image, orchestrée par une musique superbement choisie. Il n’y a pas vraiment de tension au sens propre du terme. Les compétitions olympiques ont déjà eu lieu, n’importe qui peut savoir si les canadiennes ont remporté un titre un non et à quelle place elles ont terminées. On peut également facilement savoir, pour quiconque s’y intéresse, ce qu’ont vécu certaines des nageuses. Pourtant la musique rythme le tout, à la fois dans les entraînements et les représentations mais aussi dans le train de vie. Jérémie Battaglia n’est en fait pas vraiment un réalisateur, mais une sorte de chef d’orchestre. La musique est absolument centrale tant elle rythme entièrement le documentaire. Elle attire toute notre attention et répond bien aux exigences du sujet. Composée de sonorités inattendues et très diverses, nous sommes bien loin d’une banale playlist de musiques classiques à laquelle on pouvait assez aisément s’attendre. Le style sonore ressemble à une sorte de pop électro très singulière qui définit bien la géométrie globale du sport et de ses composants.
Une fois que l’on a bien analysé la technique du documentaire et l’apport de l’image et du son sur le sujet, il est temps de s’attarder sur le message et ses sous-entendus. La nage synchronisée souffre de sa mauvaise réputation. Comme on l’apprend au début, sport de fille sous forme artistique, il est facilement moqué, notamment par les garçons, comme un faux sport. Le plus amusant, c’est qu’avant même qu’une seule phrase, qu’un seul mot soit prononcé, les quelques premières images suffisent amplement à montrer à quel point c’est un sport physiquement compliqué. Le slow motion (ou du moins le ralenti) est toujours relativement beau, voir ici les muscles des jeunes filles onduler sous l’eau rend une certaine grâce aux corps. Leurs musculatures, bien que discrètes, se perçoivent et imposent un respect avant de constater la dureté de leurs entraînements et de leurs quotidiens. C’est également un sport ridiculisé du fait de leur représentation. Lors d’une compétition, les filles doivent se maquiller et légèrement se déguiser, porter des masques, des paillettes etc, quelque chose qui décrédibilise le côté sportif et l’infantilise. C’est un sport artistique certes, mais l’image internationale en pâti.
Le plus étonnant est de voir à quel point, plus le sport est exigeant, plus il est sous-estimé. Lorsqu’on regarde un match de foot par exemple, il est vrai que certaines blessures sont impressionnantes, et on ne se dit pas que des sportives, dans l’eau, puissent se blesser à ce point. C’est bien réel cependant avec certaines ayant subi de multiples blessures sur plusieurs parties de leur corps. C’est même d’autant plus un sport d’équipe que lorsqu’une nageuse est dans l’incapacité de faire la représentation pour blessure, il n’y aucun remplaçant sur le banc de touche capable de prendre le relais malheureusement. Si une seule d’entre elles se blesse trop gravement, c’est toute l’équipe qui plonge (enfin qui ne plonge plus du coup, puisqu’elles ne peuvent plus participer à la compétition).
Un sport qui subit les injustices de son système de notation désuet et à revoir. Les juges n'étant pas là pour juger le tout, mais simplement la base, à savoir: s'ils ont été impressionnés ou non. La volonté première du réalisateur est de revenir sur l’injustice du système de notation des différentes disciplines qui le subissent. On y apprend par différents experts que leur niveau est nettement supérieur à certains autre pays bien que les canadiennes soient moins bien classées. Cela car leurs chorégraphies sont bien trop élaborées. On comprend que la faute n’est pas nécessairement à jeter sur les juges, qui ont aussi leur difficulté à rester impartiales. La représentation est rapide et ils doivent juger en un minimum de temps la difficulté des figures, la propreté de leur application ainsi que l’ajout artistique des nageuses. Au final, on ne leur demande pas de juger la qualité mais d’être impressionnés, et une figure simple mais bien réalisée impressionnera toujours plus qu’une figure compliquée avec quelques défauts. On pourrait par exemple penser à ce cher Philippe Candeloro qui se donnait un mal fou à élaborer des figures et des pirouettes compliquées sans être nécessairement justement récompensé. Le problème est ici équivalent et généralisé à la plupart des disciplines nécessitant des juges.
Evidemment le film est superbement réalisé et maîtrisé. On en apprend énormément sur cette discipline méconnue qui pioche, dans la dureté de ses entraînements, à la gymnastique rythmique, la natation ainsi que d’autres sports plus réputés. C’est, en sommes, plusieurs sports en un seul. Voir les chorégraphies sous l’eau et les nageuses évoluer et s’entraîner ensemble est véritablement magnifique. On vit avec elles l’espace de 76 min. C’est un documentaire qui allie humanité, beauté, maîtrise, précision, un documentaire qui tend à la perfection d’une discipline pratiquée par des nageuses parfaites.
Critique disponible sur Rétro-HD