Ainsi est Paria : âpre, d'une réalité noire, absolue, à l'aigreur qui rentre lentement dans la gorge. Un ovni sans beauté, aigre, filmé caméra à l'épaule, à l'image dégueulasse, un film fauché comme ses personnages, SDF poisseux, alcooliques, visages détruits par la vie. Un film foutraque, fait maison, bricolé, et pourtant infiniment percutant.
Victor, la vingtaine, vient de perdre sa petite piaule minable. Sans argent, il erre dans la rue et rencontre un monde sans avenir, délaissé, écorché vif. Lors d'une nuit où il ne pense qu'à aller rejoindre celle qu'il aime, il se perd, s'égare, est confondu avec des SDF qui ne lui ressemble pas. Cet ange blond à la mise blafarde, et la caméra qui ne cesse d'aller et de venir pour filmer la vie, chacun des êtres perdus en eux-mêmes, chaque justesse, humanité des êtres.
Le fond et la forme s'assemblent pour ne devenir qu'un, un seul bloc fait de même chair.
Un univers sans argent, fauché, à la rue, alors on crève petit à petit ou on boit pour survivre, on prend des douches dans des centres sociaux pour SDF. Paris la belle, toute crevée de noir, de désespoir, de mort sur les visages, grouillante de malheureux qu'on ne veut pas voir.
Nicolas Klotz maitrise parfaitement son image. Le grain d'une image sale, blême, comme bouffie par la vie crasseuse autour d'elle. Le réalisateur filme la plupart du temps en gros plans, alors les images semblent irréelles, très obscures, aux grains qui bougent et s'immiscent partout, à la qualité bas de gamme, aux couleurs jaunâtres, obscures, lumière fluorescente dans le bleu du monde.
Les voix limpides, la justesse des acteurs, et surtout cette jeune femme dont tombe amoureux Victor, le protagoniste, voix calme et angélique, sublime.
Un monde filmé avec une humanité et humilité sans pareil.


Ainsi chacun est au même piédestal. Le réalisateur observe simplement, nous fait part d'un monde sous terre, profondément atteint, au désespoir incommensurable. Alors chacun est bringuebalé dans un bus de SDF, et Victor avec, qui vient de dormir dans le métro. L’ambiance alors, violente, inaccessible, inatteignable des sans abris. La profonde violence des rapports des uns et des autres, l'agressivité, la paranoïa. Le monde à part d'une engueulade qui vrille, dans la nuit des rues, entre trois clodos alcoolisés. Ainsi, il y a l'infinie justesse, réalité, crédibilité des êtres. Parfois alors, tout ça a un semblant de documentaire, tellement les êtres semblent sorti d'autre part. Et c'est sûrement le cas. De vrais SDF en guise de personnages.
Un beau film, percutant jusqu'à la moelle, qui ne cache rien, même pas cet homme dans une infirmerie, ce clodo mal fichu qu'on sent qu'il ne va plus tenir, meurtri, fichu, au pied fracassé, un début de gangrène qu'on lui dit. Alors il y a cette scène insoutenable : une infirmière lui retire sa chaussure qu'elle est obligée de découper, tellement ses pieds n'ont pas été a l'air libre depuis bien longtemps. Et son pote clodo qui est là à ses côtés : "Tu vois, je t'avais dis qu'il fallait que tu enlèves tes chaussures tous les jours."
Alors le pied est là, tout nu, sans sa chaussure. Il est là, avec des bandages collés et du sang. Il est là et il a mal. Très mal. Il n'arrive même pas à marcher, et quand il marche, il boite.
Ainsi, il n'est rien épargné au spectateur. Nous regardons le monde, les corps meurtris, abîmés des uns et des autres, les visages sales, les voix inhibés par l'alcool, les coups et la violence, et le blondinet qui regarde, qui ne dit rien. Qui observe impassible, horrifié, le pied sans vie du malheureux qui n'a même plus de vie, complètement perdu, déchu comme tous les autres, dans un monde où ils ne sont acceptés de personne, même pas d'eux-mêmes. Alors quoi ? Il n'y a plus qu'à mourir. C'est la seule solution. Comment faire alors, si on ne s'accepte même pas soit-même pour remonter à la surface et avoir un semblant de vie ?
Ainsi, il n'y a plus de dignité. Ce qui est raconté là, ce sont des êtres qui ne s’aperçoivent même plus qu'ils sont eux. Qui ne se reconnaissent même plus en tant qu'être humain. Seulement alors, il n'y a plus que l'alcool pour tenir, et rien d'autre.


Un film d'une réalité profonde, noire, sans avenir, sans désir, sans espoir. Sans argent, il n'y a plus qu'a rêver d'amour, sauf pour Victor, complètement fauché mais amoureux comme jamais.
Mais pour ce mec qu'il rencontre, sans argent, à la rue, qui passe son temps à racoler des femmes dans la rue, à leur taper la discute pour essayer de les amadouer, boire un café, baiser avec, c'est un moyen de satisfaire ses désirs, et de trouver de la thune. Mais ce mec pitoyable, profiteur, est un gros boulet. Et c'est lui qui entraînera Victor dans son monde, celui de la rue, de la misère, des sans-abris à tous les coins de rue, des centres sociaux où il peuvent enfin dormir et se laver comme il faut.
Il est nécessaire et si rare de voir de ces films si profondément humain, sans chichi, qui parlent des vies sous terre, qu'on nous cache, qu'on ne veut pas voir. Ces êtres humains hors d'une société qui ne les accepte pas.
Ainsi, ce film sans prétention à l'allure fauché, dépasse amplement ce cinéma français social sans consistance, qu'on a l'habitude de nous rabâcher à toutes les sauces, à commencer par La loi du marché, encore une fois, ou Samba, Les Intouchables, et j'en passe.


=> A retrouver sur mon blog

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le 3 juin 2015

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