Paris est à nous
3.8
Paris est à nous

Film VOD (vidéo à la demande) de Elisabeth Vogler (2019)

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Initialement intitulé Paris est une fête ce projet de film expérimental est porté par un collectif de jeunes créateurs ambitieux et téméraires.


Tourné entre 2014 et 2017 en dehors des circuits de production traditionnels, le projet fait parler de lui en février 2018 lors de la campagne de crowdfunding lancée pour financer sa phase de post-production. La vidéo de présentation devient virale et le projet explose ses objectifs, récoltant plus de 90 000 € en un temps record. Cette campagne de communication permet au film de se constituer une importante communauté de spectateurs adhérents au discours disruptif que clament les porteurs de projets. La démarche interpelle le grand public et les professionnels du milieu, la presse spécialisée s’y intéresse et le collectif est même invité sur certains plateaux télé.


Ce qui frappe immédiatement dans PARIS EST À NOUS, c’est son incroyable ambition esthétique. L’équipe du film prouve que la configuration de tournage imposée par son économie de moyen n’est absolument pas un frein à la qualité visuelle du métrage, bien au contraire. Chaque plan transpire d’une envie boulimique de cinéma, parfois jusqu’à l’excès. Les séquences s’enchaînent à la manière d’un gigantesque clip et le rythme ne désemplit jamais. Mouvements de caméra souples et aériens, cadrages à l’envers, grands angles omniscient, la mise en scène sort le grand jeu pour nous en coller plein la rétine quitte à se perdre dans une démonstration de force grandiloquente.


Mais à la rigueur, ce n’est pas si grave. On reproche souvent au cinéma français son manque d’ambition esthétique, pour une fois qu’un film nous montre le contraire, on ne va pas s’en plaindre. PARIS EST À NOUS est porté par une fougue créatrice débordante, généreuse, parfois maladroite, mais toujours efficace. On aurait tort de bouder un tel désir sincère de cinéma. Le film ressemble à ceux qui l’ont fait, jeune, audacieux, impertinent, intense et exalté. Le cinéma français a besoin de cette jeunesse tout comme il a besoin de ce genre de propositions radicales s’il veut récupérer des territoires perdus.


L’ambition initiale des auteurs était de capter l’essence d’une époque à travers Paris, non pas en recréant une ambiance mais en amenant le film au coeur de la vraie vie. Par ce procédé d’immersion PARIS EST À NOUS parvient effectivement à attraper une vérité du moment. Une sensation de douce mélancolie émane de certaines séquences qui prennent l’apparence d’instantanés générationnels. Néanmoins, le film se perd parfois dans les motifs qu’il met en place et répète inlassablement. Les scènes de disputes finissent par trouver leur justification uniquement dans le procédé de déambulation mis en place pour capter certains évènements.


Le film hésite entre deux sujets qui n’avancent pas toujours dans la même direction. L’intrigue principale passe au second plan et ne sert en fin de compte qu’à contenter ce désir d’exploration. À trop vouloir s’inscrire dans la réalité, le film délaisse son récit, fasciné par la vie qui se déploie autour. Dans un effet miroir, à trop vouloir ramener le cinéma dans les rues, le film fait exister deux espaces cinématographiques qui se juxtaposent mais ne se rencontrent pas toujours. L’obsession de l’immersion finit par transformer le au milieu de en un perpétuel à côté de. Une certaine séquence de commémoration sur la place de la République en est la démonstration parfaite. Anna déambule au milieu de la foule qui, en arrière plan, communie en mémoire des victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. Le personnage ne semble pas pouvoir être relié au reste de l’assemblée, son itinéraire dramaturgique ne semble pas pouvoir se fondre dans la réalité qui survient. Cette scène nous fait prendre conscience d’une dichotomie fondamentale entre l’espace fictionnel et l’espace réel. Mais loin d’être un échec, ce constat devient le point de départ d’une fascinante quête cinématographique.


Le langage cinématographique utilisé dans le film rappelle par bien des aspects celui de Terrence Malick. Les cadrages, les mouvements de caméra, la narration très sensitive, le montage clipesque, l’utilisation de la voix off et une tendance à une certaine forme de lyrisme. Absolument tous les éléments caractéristiques de la mise en scène renvoient à une filiation évidente et revendiquée qui vire presque au pastiche. Mais PARIS EST À NOUS n’est pas le seul à utiliser ce nouveau langage, à dire vrai, c’est toute une génération de vidéastes qui s’empare de cette esthétique visuelle devenue véritable mode. Au delà de Malick, qui avec son The tree of life marque un incontestable tournant esthétique, c’est surtout le travail d’Emmanuel Lubezki qui a profondément bouleversé la représentation cinématographique. Basée sur l’expérience sensorielle, l’iconographie mise en place par le directeur de photographie Mexicain a ouvert des voies que la nouvelle génération s’empresse aujourd’hui d’arpenter.


Avec une telle proposition formelle, il est frustrant de ne pouvoir profiter de l’expérience salle. Initialement, la campagne de souscription avait pour objectif de mettre en conformité le film pour une exploitation au cinéma. Visiblement aucun accord n’a pu être trouvé avec le CNC. Une situation qui nous rappelle la difficulté pour des jeunes gens passionnés et motivés, d’emprunter des chemins de traverses qui mènent à la salle. En refusant de soutenir ce film, l’industrie du cinéma français montre une fois de plus son décalage avec les réalités du paysage audiovisuel en pleine mutation. C’est le conservatisme de tout un système qui empêche l’émergence d’une génération de cinéastes désireux d’explorer de nouveaux horizons artistiques. C’est inéluctable, les nouvelles technologies et les nouveaux modes de consommation des films permettent à ce cinéma alternatif de s’installer progressivement. Mais en restant aveugle face à ce genre de propositions, l’industrie accélère le déclin de son propre système en favorisant l’ascension de Netflix qui profite de cette émulation et récupère les nouveaux talents.


Aurélien Milhaud


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le 19 févr. 2019

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