Je vais prendre la défense de ce film parce qu'il raconte la France et le malaise du monde. On s'en contrefout du prétexte de l'histoire d'amour bidon qui commence sous MD dans une soirée trop routinière avec des gens trop perchés dedans. C'est pas ça l'important, même si la MD est importante dans le film et que je vais pas faire un texte de sensibilisation contre les drogues.
Je pense que ce film est une fête, à voir selon deux visions des choses. La première vision, c'est la vision de la foule, la vision extérieure au voile qui sépare Anna du monde. C'est la version qu'on aime pas. C'est la version qui fait des monologues d'Anna des discours métaphysiques de comptoirs. C'est la vision qui fait qu'on hait le copain d'Anna parce qu'il sait mieux que tout le monde, et parce qu'il n'accepte pas sa copine comme elle est. Il n'accepte pas qu'elle ne soit pas indifférente, mais juste un peu plus lucide et moins naïve vis-à-vis du monde qui l'entoure. C'est la vision qui fait qu'on se demande à quel point un vol Paris-Barcelone qui commence de jour et finit de nuit peut être une incohérence scénaristique, et à quel point les plans du début, sur les tours de contrôle, sont lourds, et annoncent le crash de l'avion. Tout ça c'est le début du film, en dehors du voile, j'ai dit.
Maintenant, la Anna qui se réveille dans le train, n'a pas pris ce vol et est vivante, nous invite à glisser en-dessous de ce voile, de son voile à elle. A nous de la suivre, ou pas. A nous de nous rendre compte que la réalisatrice ne filme pas à la manière d'une story d'influence Instagram par hasard. A nous de comprendre que quoi de mieux que de filmer de cette manière, pour se moquer gentiment de ce monde 2019 un peu trop filtré, un peu trop lisse et ennuyant qui crie au malaise. Dans la scène du cimetière, le vieux monsieur, l'aîné de la vieille génération, nous confirme qu'il y a quelque chose qui cloche chez Anna. Autant de plans séquences ne sont pas réalisés sur elle dans le vide, pour le plaisir des yeux. Le monsieur lui dit qu'elle a quelque chose de spécial. CE quelque chose qui la rend un peu plus lucide.
Anna a compris que rien ne sert de courir, il faut partir à point. Anna a compris qu'une belle école, un beau métier, dans ce monde, quand on veut s'en émanciper, finissent toujours par nous rendre prisonnier de celui-ci parce qu'il y a des choses plus grandes autour de nous. Il y a les attentats du Bataclan, qui sont largement imagés par le crash de l'avion, il y a les gilets jaunes et les LBD-Flash-Ball des CRSS, largement suggérés dans les scènes de rues parisiennes. Pour ne pas voir ça, on fait la fête, wow, et on assume de mâcher des chewing-gum pour ne pas finir la bouche en sang à 8 heures du matin, wow. "On", c'est notre génération qui "ne peut rien changer à ce monde". Anna a compris ça, et la réalisatrice aussi. Anna est Marianne. Marianne est Paris. Paris est la France. La France est le monde. Paris est une fête, et ce film aussi.