Moi aussi, "j'ai commencé à Paris"

Ce film et moi c'est une longue histoire... Avant même de l'avoir vu, il m'accompagnait déjà... Je suis né en 1980, et mon père ne m'avait pas emmené avec lui le voir à sa sortie - chose qu'il avait faite pourtant à cette époque avec d'autres films que la norme ne considérerait pas comme des films destinés à un chiard réceptif aux mièvreries Disneyennes - mais sur ses étagères à livres, au milieu de tranches estampillées Godard, Welles, Truffaut, Scorsese... se trouvait ce gros bouquin dont la couverture représentait une plaque minéralogique ricaine immatriculée en lettres rouges sur fond bleu "WENDERS - SHEPARD / PARIS, TEXAS". Alors de temps en temps, entre un "Youpi à la plage" ou un "Ernest et Célestine", on feuilletait avec papa ce bouquin dont les images, les captures de plans fascinaient déjà mes mirettes : une caméra centrée sur ses personnages ne laissant le choix au spectateur que de s'emplir des expressions d'une certaine "comédie humaine". Peu de personnages, certes, mais où tout est dit dans l'image, dans le "jeu", sans exagération dégoulinante... une interprétation des comédiens sans ajout d'effets d'écriture cinématographique qui aurait été trop lourd au vu d'une narration qui coule toute seule et que je considère d'une légèreté incroyable (au risque de faire frémir bon nombre qui trouve le film pesant par sa "lenteur", la longueur de certains plans... moi j'y trouve le timing parfait qui laisse à l'être humain le temps de ressentir les choses, et de s'exprimer par non-dits)... Les couleurs et la lumière aussi! D'un désert texan immaculé , avec ce petit bonhomme en costume foncé au milieu de cet infini éblouissant, à l'espace confiné d'un bar à peep-show, sombre et obturé où seul la blondeur et le rose du pull angora de Nastasja Kinsky, laisse entrevoir un rayon de soleil - certes fragile... mais là!
Une esthétique qui ne me laissait déjà pas indifférent, même en images fixes.
Puis je grandi; je vois très vite et revois le film. Puis je mûri et le revisionne encore. Puis je vieilli et je revois toujours ce film, et en le partageant avec plaisir... Je n'ai pas à en dire beaucoup plus, ce film à suivi ma construction et mon regard aussi changeant soit-il le considère avec toujours autant d'intérêt.
Impartial dans ces prochaines lignes ; ça m'est impossible même si je pourrai prétendre le contraire en m'efforçant de me baser sur une lecture sans "interprétation personnelle" mais purement analytique... de toute façon ce principe ne m'intéresse pas dans la façon de considérer des oeuvres : on y voit ce que l'on veut, ce que notre esprit construit en dit... je ne suis pas journaliste (ô grand dieu merci), "l'impartialité de mes deux" je la mets aux chiottes concernant l'art; les fins de l'art du point de vue de sa création ou de sa diffusion n'étant certainement pas "partiales".

Pourquoi j'aime ce film?
Il est pour moi le jalon d'une histoire du cinéma passée, d'une histoire du cinéma en devenir (comme Citizen Kane pour certains) en s'attachant à un maître-mot : "Humanisme". N'interprétez pas ce gros mot comme assimilé à un "fondement" historico-social... il n'est pas question de cela : je parle juste de l'humain... cette "notion" matérialisée par un bipède doué de pensée, de parole et de sentiments, et qui n'a lieu d'être que par son parcours et ses interactions avec ses congénères. Avant Paris-Texas, le film de fiction était pour moi dans le "faux-semblant" quant à la restitution des psychologies des personnages... dans le "jouer"... Après ce film on est passé à trop de débauche en matière d'expression sentimentale des personnages... non plus dans le "jouer" mais dans le "sur-jouer" avec effets de style qui t'en rajoute des tartines tellement on nous prend pour des cons... je ne vais pas mettre tout le paysage cinématographique dans le même panier - bien sûr - mais c'est l'impression globale que m'offre mon parcours de cinéphile, si je peux me permettre cette dénomination facile.

De quoi est-il donc question dans ce film? Est-ce une interprétation d'une réalité sociale sous cette ère reaganienne du "tout entertainment" et du "chacun pour sa gueule" concernant les nouvelles familles recomposées? Que nenni.
J'y vois personnellement le passage d'un parcours initiatique. Celui de Travis. Celui sur lequel le film est centré. Parcours initiatique dans le sens où sa situation initiale est celle du néant, l'errance, du cheminement vers cet objectif monomaniaque incompréhensible qu'est Paris, cet endroit à peine indiqué sur une carte et perdu au fin fond du Texas et où pourtant tout "à commencé" pour lui - objectif d'un homme seul et qui n'a plus "rien" - pour prendre la direction qui s'impose progressivement à ses yeux de ce qui fera de lui un "homme", un "vrai", en intervenant pour (et je vais citer Yves Duteil...arfff) "prendre un enfant par la main, prendre un enfant pour le sien" (en ajoutant) "vers l'amour maternel" (pour être plus exact... Ce film n'est pas la vision sirupeuse de Super Daddy; qu'il soit dit ainsi). Si l'on s'attache de toute façon à trouver le bon du mauvais dans les personnages et en particulier Travis par rapport à la construction du film, l'on fait fausse route... Et ce principe je l'aime aussi... j'en ai marre qu'on nous dise de manière volubile qui/que/quoi "est" (bon/méchant/con/journaliste impartial) et pourquoi... dans les films c'est d'autant plus gerbant.

Je ne vais pas raconter l'histoire... le film ne se "raconte pas", il n'y a pas d'histoire (de toute façon il faut le voir, point), juste la compréhension du spectateur face à la position des personnages, qu'elle soit identifiée ou incompréhensible de prime abord....
Ce qui n'empêche pas de saluer le taf de Shepard ; tout est dit par les mots en l'espace de quelques minutes au dénouement et pourtant ... et pourtant deux heures ont filé sur lesquelles on se laisse bercer de questionnements... Juste ce qu'il faut pour palper de cet "épanouissement", ce "remplissage progressif" de Travis.

Une pensée profonde à Harry Dean Stanton qui nous livre ici ce qui est sans nul doute son meilleur rôle... "Emouvant"? Oui certainement, mais cela va au-delà de ça... De la "justesse"... : son propos d'acteur est implacablement juste, sur un terrain qui est pourtant assez savonneux (une première heure de film sans dialogue, histoire de donner un exemple grossier du tableau). Et mine de rien de mon point de vue, on a tendance à s'identifier à lui... on peut peut être également considérer Paris, Texas comme un "film d'hommes"... (pas dans le sens exclusivement destiné aux hommes pour ceux qui n'auraient pas compris). Une pensée donc pour lui, car je trouve injuste que d'autres réalisateurs ne lui ai pas offert cette chance de réitérer ce genre de "prestation" au lieu de lui proposer des troisièmes rôles ringardos dans des productions "reaganiennes" qui sentent bon le dentifrice.

Je considère aujourd'hui ce film comme un petit frère, petit en âge, mais tellement rempli de vécu... Je suis aujourd'hui père et ce film m'accompagne toujours avec mes appréhensions et mes attentes de la vie changeantes...
Ma considération pour ce film va donc au-delà de tout sens critique (la bonne blague...).
U-Man
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le 16 févr. 2014

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U-Man

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