[SanFelice révise ses classiques, opus 26 : https://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379/page-2#page-1/ ]
Travis et Jane.
L'amour fou.
Un tourbillon de sentiments tellement forts qu'ils en deviennent insoutenables.
Un amour qui exclut de la société. Qui est socialement inacceptable. Qui détruit les fondements mêmes de la société.
Un couple fusionnel forcément rejeté par les autres, par les « normaux » enfermés dans la trivialité de leur non-existence.
Des sentiments insupportables, au point de faire exploser en vol ce couple si splendide.
Et un homme seul.
Seul au milieu du désert.
Seul loin de toute humanité.
Un cadavre ambulant, marchant droit devant lui depuis quatre ans.
Muet, comme le silence du désert.
Seul, comme le vide du désert.
Famélique, comme ce décor minéral, comme la réalisation minimaliste, comme les quelques notes de musiques de Ry Cooder.
Un décor qui s'accorde avec le personnage.
« Tu as une tête de déterré », dira Walter à son frère Travis. Parce que c'est cela : de même que son couple, Travis est mort. Il n'a aucune volonté, aucun sentiment, aucune identité.
Et l'histoire du film, c'est, entre autres, l'histoire d'une résurrection. Une résurrection en trois actes.
Premier acte : le retour de Travis dans le monde de l'humanité. Walter sort son frère de ce désert texan comme Orphée reviendrait chercher sa femme aux Enfers. Il le ramène chez les vivants. Et l'étape essentielle, c'est lorsque Travis retrouve le langage.
Et quels sont ses premiers mots ?
« Paris ».
Cette ville du Texas où, selon la légende familiale, Travis a été conçu.
Une re-naissance, au sens strict du mot.
Deuxième acte : le fils.
Changement de décor : au vide du désert succède la « civilisation » de Los Angeles, deuxième ville la plus peuplée du pays. A la solitude de Travis s'oppose la famille de Walter.
Et au sein de cette famille, il y a le jeune Hunter.
Retour de Travis à la civilisation ? Mais lorsqu'il passe sa première nuit à Los Angeles, Travis reste dehors à scruter l'horizon avec des jumelles. Et tout autour de lui, l'espace est saturé de routes, autoroutes, aéroports. L'appel du large. L'impossibilité de rester en place. Impossibilité de se conformer à un modèle social pré-défini. Un échec de l'American way of life.
Du coup, un troisième acte inévitable, un nouveau départ. Après avoir retrouvé la vie, après avoir retrouvé le fils, il faut retrouver la femme.
Et un final splendide, particulièrement émouvant.
Un final en constat d'échec.
L'amour fou, c'est l'échec de la société.