Las de pousser la roue
[Mouchoir #47] On a tou·te·s des chocs cinématographiques. Bien souvent il s'agit de films, moins de cinéastes. Parce qu'on ne leur demande pas seulement une rencontre d'une, deux ou trois heures,...
le 17 juin 2023
On a tou·te·s des chocs cinématographiques. Bien souvent il s'agit de films, moins de cinéastes. Parce qu'on ne leur demande pas seulement une rencontre d'une, deux ou trois heures, mais une vision du monde partagée, à un certain degré et qui s'étale sur au moins la bonne partie d'une oeuvre. Jean-Daniel Pollet, il y a quelques années, c'est ma récente façon de revoir le monde, comme avec une nouvelle paire d'yeux. Et encore plus fraichement, Guy Gilles, mais d'une façon plus fragile que Pollet, plus de l'ordre de l'entrevue pour l'instant que de la liaison amicale cinéphilique. À force d'avoir épluché des mots de et sur lui pour un gros travail universitaire, j'ai comme l'impression parfois de me retrouver dans ses bottes.
Mais Jean-Paul Fargier, c'est sûrement lui qui a le plus mis ses pieds dans les bottes de Pollet. Le spécialiste des spécialistes, l'ami des ami·e·s. Pourtant, même avec ça en tête, je ne pouvais m'empêcher avant le visionnage de me demander le besoin d'un tel film. Certes, c'est le principe des Cinéastes de notre temps, la série initiée par Labarthe dont ce film fait partie, mais Pollet avait tellement déjà fait lui-même le boulot de remonter ses films en films-opéras — de Contretemps (1990) jusqu'à Jour après jour (2006) —, en reconstruisant sur des ruines pour mieux comprendre leurs principes, que le Pollet par Pollet existait déjà et n'avait pas besoin d'un remake.
La réponse, c'est Fargier qui la souffle sur le générique de fin, où un homme de la troupe du Sang (1972) pousse frénétiquement la roue du film. En fin de course, un montage de voix : « (Pollet dit :) C'est mon dernier mot. (L'acteur :) Est-ce que quelqu'un veut pousser la roue ? Moi j'en peux plus. » Faut continuer le travail, se mettre aussi à chercher ce qui faisait l'énigme des films du cinéaste, et peut-être que Fargier, épuisé de trainer la roue, nous tend une main pour l'aider et se sert de l'autre pour exposer pendant l'heure précédente la « méthode Pollet¹ », indispensable pour quiconque veut se mettre à la tâche, se pencher sur ce problème : « C’est l’idée qu’on est au monde, on est entouré de choses, d’objets, de paysages, et que tout ça n’a rien à nous dire. Et que finalement, la solution pour s’en sortir de cette histoire, c’est à dire ce que signifie “être au monde”, c’est de créer des dispositifs pour voir.² » Alors, tu viens pousser ?
¹ Nom d'ailleurs d'un article de Jean-Paul Fargier dans Trafic n°13, Hiver 1995.
² Jean-Pierre Brazs dans Dieu sait qui (2006) de Pierre Borker, autre film explorant la poétique polletienne.
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Créée
le 17 juin 2023
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