En trois temps - un mouvement.
Selon les sensibilités (et les montres !) de chacun, on verra comme trois temps dans "Une partie de campagne", trois temps dans le sens de trois durées.
Celle de Maupassant tout d'abord qui, dans sa nouvelle éponyme, évoque davantage une saison, peut-être une journée où l'atmosphère se prête aux batifolages, aux tours en barque, aux rencontres impromptues. Ce temps, comme un papillon coloré, il le saisit avec la grâce de son trait si précis en 13 pages remarquables. Il n'y épargne pas le petit bourgeois. Mais l'ironie se retrouve comme désarmée devant la beauté d'une nature qui écrase la vulgarité de ses personnages.
Ensuite viendrait le temps impressionniste, celui de Renoir père, le temps capturé sur la toile à peine sèche : l'herbe s'agite encore, l'eau est en mouvement, ici un reflet, là un nuage qui déjà point à l'horizon. C'est le temps hors du temps, celui de "La grenouillère" (1869) ou de "En canot sur l'Epte" de Monet (1890).
Le film de Jean Renoir capte amirablement ses deux temps, certes, ne serait-ce (accident ?) par les conditions agitées de tournage et le format du métrage qui donne comme une urgence aux sentiments. Mais son essence même tient en un troisième temps, le temps d'une scène, d'un plan même, le temps de la bascule que décrit admirablement Bazin dans un texte pour les Cahiers en 1952 : "L'une des plus belles images de l'oeuvre de Renoir et de tout le cinéma est cet instant où Sylvia Bataille va céder aux baisers de Georges Darnoux. Commencée sur un ton ironique, comique, presque chargé, l'idylle, pour se poursuivre, devrait tourner au grivois ; nous nous apprêtons à en rire et brusquement le rire se brise, le monde chavire avec le regard de Sylvia Bataille, l'amour jaillit comme un cri ; le sourire ne s'est pas effacé de nos lèvres que les larmes nous sont aux yeux."
Le temps d'un regard, donc.