Qu'est-ce qu'un génie? Celui qui brûle avec retenue, qui hurle sur le ton de la conversation civilisée, qui régale sa faim d'orgies et de peaux enfiévrées dans une assiette de spaghettis.
Qu'importent le parfum de sulfure et de scandale qui composent le sillage du nom de Pasolini, c'est une vie intime, lyrique et profondément humaine que retient Ferrara. Contre l'angoisse d'un monde de machines se percutant les unes les autres, le Pasolini de Ferrara s'entoure des bras maternels, amicaux, et se perd dans les boucles rassurantes des jeunes romains. Le monstre d'esthétisme est en fait humain, trop humain. Qu'est-ce qu'un génie? C'est celui qu'habitent mille vies, ces ébauches de romans, de dessins, de scènes de films laissés en suspens comme autant de prolongements de l'auteur, doués d'une vie propre jusqu'à l'accueillir au-delà de la mort. C'est celui qui vit milles vies, le poète, le cinéaste, l'écrivain, l'ami, l'amant, le fils. L'homme sans éclats, sans poses, animé d'un besoin d'être compris plus que de parler, dont la soif d'absolu se fait sans heurts, sans violence, loin de la réception dont ses films ont fait l'objet.
C'est un film mineur que propose Ferrara. Loin du souffle épique que pourrait véhiculer une telle biographie, où le réalisateur pourrait rivaliser avec son modèle, il s'efface et son film se resserre dans l'intimité des dernières heures, lumières douces, parcelles de films et regards aimants. Avant que Pasolini soit percuté par ces hommes-machines qui, d'un "sale pédale" et d'une série de coups de pieds, ruinent l'ensemble des possibles contenus en un homme, réduisent à néant toutes les existences réelles et fictives en une injure. Ce qu'ils laissent sur la plage, c'est un visage tumifié, face contre terre, réduit au silence. Ce que continue à enregistrer le film, c'est la douce vision d'une Terre lumineuse et l'incompréhension perdue d'une mère.
Seul bémol, mais pas des moindre : Pasolini n'aurait jamais dû parler anglais.