La CGI a ceci de magique qu’elle vous permet de faire tout, et même n’importe quoi. Il fut un temps où les thèmes étaient plus cloisonnés : si l’intrigue se déroulait dans un vaisseau spatial du futur, on était face à un blockbuster de SF impliquant pléthore de figurants, de combats épiques et d’aliens plus ou moins hostiles. Pour que des auteurs s’y attaquent, il fallait qu’ils soient dingues ; Kubrick et Tarkovski l’étaient.
Aujourd’hui, l’usage du numérique se démocratisant au point qu’il ne sert même plus des effets spéciaux visibles on peut s’amuser à mélanger les genres. Passengers est ainsi une robinsonnade/romance/survival plutôt bancale sur le papier, et qui finit par s’en sortir assez correctement.
Toute la première partie, sur la solitude du premier BG, bénéficie d’un véritable charme : parce que l’exposition maline faite au «réveillé » de son environnement de rêve se fait sous le signe de la publicité pour une croisière de luxe quasi hygiéniste dans laquelle il est d’ailleurs un passager de seconde classe. Cette adéquation gentiment ironique entre l’esthétique rutilante du vaisseau, temple du divertissement pour tromper l’ennui d’un espace infini et le la dystopie mercantile d’une entreprise à dimension cosmique fait mouche. Une technologie parfaite, des plans (trop nombreux, comme souvent, mais ils en sont tellement fiers) de l’hélice géante lancée vers sa destination, des ordinateurs partout, et une solitude premium. Ce duo avec le barman est charmant au point de nous faire penser à celui de Shining, juste avant que ça ne parte en sucette.
La romance sur fond de dilemme moral (vais-je réveiller cette BG, sachant que je la condamne avec moi ?) est presque intéressante, mais loin d'égaler celle, gracieuse et mélancolique, du Solaris version Soderbergh ; reconnaissons qu’après avoir vu le BG se laisser aller à une barbe (de synthèse elle aussi, nous demandons-nous), et des miettes partout, il fait bon de voir la BG joggeuse ou nageuse, vous insuffler de la forme et des formes dans cet environnement.
(Spoils)
Tout cela ne pouvant durer, les roses fraiches et l’alliance se fracassent sur la tragédie du « Salaud de BG, tu m’as réveillée, c’est quand même un peu un meurtre, sans la mort et avec le grand amour, je veux bien, mais ça se fait quand même trop pas ».
Alors elle court et elle nage, mais toute seule.
Reste donc à cocher le Survival. Bon, on nous fait comprendre depuis 30 ans qu’il y a des avaries parce que ça grésille toutes les quatre minutes, et forcément, ça va péter.
Et ça pète. Réacteur nucléaire, bonjour le commandant au-revoir le commandant (un troisième rôle au panthéon des trucs inutiles, qui pourrait concourir au " Matt Damon in Interstellar award"), panne de gravitation, sacrifice, sortie dans l’espace, filin qui craque, adieu mon amour, ah mince en fait c’est mieux si t’es là, bon comment on fait maintenant.
J’aime bien la dernière image. C’est mignon, ça ce me donne envie de monter une AMAP ou de revoir Captain Fantastic.
Et je me rappelle de la bande-annonce, que je trouvais très idiote dans sa dernière réplique, parce qu’elle me semblait spoiler le film sur un éventuel twist : et ben en fait, pas du tout.