Twin Peaks
Après Détroit et les sorties nocturnes d’Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch déplace de nouveau son cinéma dans une ville en friche où la lisière se révèle étroite entre les briques en ruine et le...
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le 24 déc. 2016
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Après Détroit et les sorties nocturnes d’Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch déplace de nouveau son cinéma dans une ville en friche où la lisière se révèle étroite entre les briques en ruine et le malaise social. Cette fois ci, c’est dans la bien nommée Paterson. Oubliant l’esprit bohème et rock’n’roll de ses deux précédents vampires, le réalisateur américain détourne son attention vers Paterson, conducteur de bus dont le nom est éponyme à la ville dans laquelle il vit.
Mais derrière sa petite vie bien tranquille, entre les bières avec les potes et le sempiternel repas du soir avec sa compagne funambule, Paterson s’adonne à l’écriture. Pour être plus précis, à la poésie. Le lieu de tournage, l’environnement qui immerge devant nous, n’est pas anodin. Paterson est une ville aussi connue pour le poète William Carlos Williams.
Tout comme avec Memphis, ôte du somptueux Mystery Train, ville fantôme hantée par le spectre d’Elvis Presley, Jim Jarmusch inscrit son contexte dans une culture qui lui est propre et décrit son décor comme un véritable personnage incarné. Avec quelques plans dans un bus qui sillonne tous les recoins miséreux, tous les quartiers multiculturels, ses petites discussions de commères, Paterson dévoile cette ambivalence qui fait que cette ville ait encore un cœur qui bat malgré une industrie en perdition.
Mais le centre du film, outre sa cité, est bel et bien son personnage principal. Enlacé dans une sobriété visuelle qui sied parfaitement à l’élégance du style de Jim Jarmusch, l’œuvre raconte comment s’écoule une semaine dans la vie de Paterson, du lundi au dimanche. Paterson est le portrait d’un quotidien. Plus que cela. D’une routine. Cette dernière est apaisante par le confort d’une vie qui ne prend presque plus de risques, mais devient également mortifère par l’aspect rébarbatif de son avancée.
Paterson prend le même bol de céréale tous les matins, mange le même sandwich tous les midis au même endroit, et sort son chien tous les soirs pour finir dans le même bar. Sauf que malgré son déroulement monotone chaque journée décèle sa propre magie ou son unique vérité. Derrière la composition de Paterson, ancien militaire, se cache la description d’une middle class américaine qui se cherche et qui essaye par le biais de la culture de s’émanciper de sa propre condition, que cela soit par la poésie ou la musique. La grande force de Paterson est de ne jamais appuyer sa consonance politique, qui n’en est pas même une mais de magnifier la puissance de la culture dans l’affranchissement d’une personne.
Paterson, est et devient un hymne à la poésie, à cet équilibre voulu entre calme mérité d’une vie sans obstacles et épanchement littéraire, à cette farandole de moments qui dessine un quotidien, une multitude de détails qui fait de Paterson ce qu’il est : une embrassade avec sa dulcinée, un rire contagieux devant l’amour transit d’un acteur raté, ou un regard éberlué devant le caractère outrageant d’un bulldog anglais possessif. Dit comme cela, Paterson peut paraitre ennuyeux mais il ne l’est pas. Jim Jarmusch n’a pas son pareil pour faire saluer la beauté d’un rien, pour engendrer une pureté mélancolique inclassable, pour faire rire avec un simple gimmick, pour enchanter avec quelques vers tirés d’un esprit volubile.
Paterson est filmé comme un poème avec les jours qui se suivent comme des vers mais dont les péripéties ne riment pas forcément. Grand, la carrure imposante, la voix roque et la démarche endimanchée, Adam Driver est parfait dans le costume de Paterson. Il est à la fois Ghost Dog dans l’accomplissement patriarcale de ses journées et Dead Man dans un homme qui se meurt peut-être à petit feu dans l’effacement des mots qu’il écrits. Mais ce qui fait la beauté de ce film qui joue sur le symbole du jumeau, c’est le respect de Jim Jarmusch pour le non spectaculaire et l’ordinaire d’une destinée.
Voire l’empathie d’un cinéaste envers un personnage inconnu qui mériterait selon lui de diffuser ses écrits. Jim Jarmusch écorne de ce fait l’image que la conscience collective se fait du poète : maudit, sombre, ténébreux. Paterson est l’antithèse de ce postulat : silencieux, amoureux, casanier. Mais une seule chose continue à émerveiller ou à conditionner son envie d’avancer : les mots. Et malgré les difficultés et les imprévus du quotidien, la page blanche n’est jamais une fatalité. Mais une possibilité de continuer ce qui fut accompli.
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le 24 déc. 2016
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