Soupçons
Paul Sanchez est revenu ! a tout du film policier français, du moins en apparence. Nous avons une brigade de gendarmerie du Var, prise avec les soucis quotidien des habitants. Nous avons le...
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le 2 mars 2019
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Le fait divers inspire toujours le cinéma français. On se rappelle par exemple, sur la thématique du meurtre, de L'Adversaire, adapté du récit éponyme d'Emmanuel Carrère, on se souvient de L'Affaire SK1, ou encore Omar m'a tuer pour citer des exemples récents.
Mais le film de Patricia Mazuy tranche avec les films cités précédemment parce que ces derniers finalement suivent l'affaire telle qu'elle était, sont en quelque sorte des biopics un peu romancés : noms et lieux sont respectés. Ici, la réalité est bien plus floue : si Paul Sanchez rappelle Xavier Dupont de Ligonnès, ses crimes ne prennent absolument pas racines dans le même contexte, même si ses 4 enfants et sa femme et même le chien, assassinés à coup de fusils et enterrés sous leur terrasse, font invariablement penser à la sordide réalité.
Le film ici ne s'ancre pas du tout à Nantes comme c'est le cas pour l'affaire Dupont de Ligonnès mais dans le Var, pour laisser un paysage de western, aride, sauvage. L'ambiance du grand ouest instaure une atmosphère tout à fait particulière. Laurent Lafitte porte une tenue qu'on croirait sortie du film Le Bon la Brute et du Truand, incarnant un hors la loi, un fugitif, un voyou sale, comme dans les western spaghetti à la Sergio Leone. Les références vont plus loin, dans la musique et dans les décors : les pics montagneux arides, les rivières minérales, et les paysages urbains informes à la manière américaine, et les longues chevauchées (ici en voiture). Le film d'ailleurs commence sur des plans de zones commerciales, les panneaux lumineux, les enseignes poussiéreuses, les Darty, Conforama, Macdo et Ikea, Las Vegas populaire, jungle urbaine, témoignages d'un urbanisme conquérant et hors de contrôle qui rogne sur les étendues sauvages.
L'autre aspect du film marquant, c'est le silence ; le film est assez peu bavard. Les plans sont lents, s'attarden et même le superflu est montré. La musique résonne de temps à autre mais la plupart des scènes avec l'excellent Laurent Lafitte se passent dans le silence, il ne parle presque pas, il observe, il attend, il erre, bête blessée, bête meurtrie, fou. Sa cavale est une forme d'ermitage délirant. Il vole une voiture, une autre, encore une autre, achète des bonbons et des chocolats dans une station service minable, il couche dans le canapé d'une villa inoccupée, repart. La logique meurtrière échappe au spectateur. On ne comprend pas les agissements du personnage et même les raisons de son retour : un criminel recherché depuis 10 ans revient aux racines de son crime, ça parait si saugrenu que même les gendarmes en début de film n'y croient pas. Pire, il est sensé être expérimenté, chevronné, malin mais il commet des fautes, en permenance, des imprudences, semble sur le point de péter les plombs. Le personnage incarné par Lafitte est borderline, en eaux troubles.
Le reste du film s'attarde sur Marion, une jeune gendarme pas toujours très dégourdie, un peu naive, mais qui va se révéler d'une redoutable efficacité pour traquer le criminel qui le fascine. Elle aussi a un comportement étrange. On se croirait dans un film des frères Coen parfois et j'ai furieusement pensé à No Country For Old Men. L'enquête est plutôt convenue, les personnages secondaires assez prévisibles avec quelques clichés - la sempiternelle scène de sexe entre deux personnages que tout oppose a priori par exemple - mais le quotidien des gendarmes est agréable à découvrir. On est ici dans le cinéma social : les petites gens défilent au poste, les petits faits divers agitent les environs, rien d'extraordinaire dans ce paysage gris et minéral, c'est une France de province que l'on parcoure, une France meurtrie, plutôt laide, périurbaine, contrastée, rien n'y est extraordinaire, sauf l'ombre de Paul Sanchez.
Mais le souci du film réside dans ses forces. Parfois drôle, parfois burlesque, parfois tendu voire effrayant, le film fraye avec tous les genres, si bien qu'on ne sait plus sur quel pied danser. Assurément, Patricia Mazuy est subtile dans sa narration, même si on devine les ficelles, dans la réalisation qui tranche avec la platitude des films français actuels. Mais au delà de l'aspect formel, finalement, on s'y perd un peu. Il n'y a pas, contrairement aux films des frères Coen, de réelle leçon à tirer du film. On assiste à une traque, et à pas grand chose d'autre. Les personnages eux mêmes ne semblent pas évoluer vraiment et ne pas vraiment savoir quoi faire là. Hormis une course contre la montre avec un assassin, il n'y a aucune autre chose qui caractérise les actions des personnages. Par exemple, Marion se met à jouer solo, on ignore pourquoi, elle souhaite attraper Paul Sanchez seule, sûrement par ambition, mais ça semble un peu tomber comme un cheveu dans la soupe. Elle flirte avec un journaliste qui n'a qu'une envie avoir le scoop du siècle et on ne comprend pas quel lien les unit hormis l'assassin. Le twist final, assez surprenant, ne fait qu'épaissir le mystère qui plane sur les intentions des personnages, ce qui empêche finalement une identification pour le spectateur.
A la manière de Paul Sanchez, on oscille en permanence d'humeur au gré des scènes, finissant par rester un peu au bord de la route. Pour un film sur l'errance, c'est pas si mal après tout.
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Créée
le 27 juil. 2018
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