A quoi retourne-t-on quand tout a changé ? Mon pays existe-t-il
encore? Quand je veux l'attraper il disparaît.
Récurrents, lancinants, ces mots résonneront en nous comme un leitmotiv : la voix de ces Libanais revenus au pays après l'avoir fui, exilés et désormais étrangers sur la terre qui les vit naître, tentant vainement d'exorciser le fantôme d'une guerre fratricide et de se retrouver enfin tels qu'en eux-mêmes.
1976 : la guerre civile éclate dans un Liban où tout n'était alors que calme, douceur et volupté.
Déchirés, en plein désarroi, ils en parlent tous avec le même regard noyé, un peu fou, un peu vague, chacun s'accrochant à des souvenirs qui oscillent entre fantasmes et réalité.
Quatre beaux portraits de ces Libanais en quête d'un moi perdu constituent le coeur même du film : d'abord Nada, soeur de la réalisatrice, solide fille aux yeux clairs dont le nom si poétique en arabe : "la rosée" ne signifie plus rien hors de son pays, et c'est désormais Nadia, habitée par la danse orientale, qui extériorise ainsi le traumatisme d'une enfant qu'un choix impossible avait rendue "muette", écartelée entre le français et l'arabe.
Son corps, qu' elle a réussi à apprivoiser, lui permet enfin de s'exprimer autrement, retrouvant par là-même un langage qui lui est propre, et les scènes où la jeune femme s'abandonne à la sensualité de la danse orientale, imprimant à tous ses gestes une langueur et une grâce lascive, comptent parmi les plus belles du film.
L'enfance comme un couteau planté dans la gorge
C'est ainsi que s'exprime, connu et reconnu pour sa pièce Incendies adaptée au cinéma, le dramaturge Wadji Mouawad, illustrant de façon terrible la tragédie de son pays, lui qui se sent pourtant fils de Zeus plus que Libanais.
Le regard brillant d'émotion, ses mains agiles mimant ses paroles, il revit jour après jour l'horreur de cette plaie à jamais béante.
Cette phrase pour Jihane Chouaib a d'ailleurs été le déclencheur, le déclic qui lui a permis de mettre enfin des mots sur la guerre de son enfance, toujours vivante en elle, et donc de réaliser ce film qu'elle porte depuis toujours.
Katia, elle, Libanaise de père vivant à Montréal, exhibe son ventre couturé, vestiges des balles perdues, lorsque journaliste reporter elle s'est jetée dans la bataille, se confrontant à la violence d'un pays mis à feu et à sang.
Des témoignages forts mais sans ostentation, avec pour tous la même volonté de se reconstruire, qui par la danse, qui par la parole ou l'action, voire par la beauté, comme Patric Chihac, cinéaste autrichien qui évoque avec une nostalgie teintée d'un romanesque glamour cette grand-mère , danseuse orientale, princesse des mille et une nuits qui telle une héroïne de roman ou une star de cinéma, envoûta son grand-père, lequel finit par la ravir à son pays, une terre qu'elle n'oublia jamais, transmettant à son petit-fils l'amour de ce Liban où l'enfant d'alors s'était juré de retourner.
Et puis, n'oublions pas un cinquième personnage et non des moindres : Beyrouth, ville martyre, ville de souffrances et de violence mais ville d'un pays que chacun a rêvé de retrouver un jour.
Un superbe documentaire à la portée universelle, témoignant du déchirement tragique de tous les exilés.