Precious Pearl
En toute logique purement sémantique cette préquelle de X aurait du s'intituler W. C'est finalement sous le titre de Pearl que Ti West revient nous coller un bonne claque cinématographique dans la...
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le 19 nov. 2022
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Je suis pas habitué à être hypé juste pour le principe, l'idée, que ce soit au cinéma ou ailleurs, parce qu'une idée seule n'est pas suffisante d'une part, et d'autre part parce que c'est un des gros soucis du divertissement contemporain, où on fait consommer les gens sur des concepts vendeurs en les habituant à la médiocrité voire pire (un exemple parmi d'autres étant les grosses licences hégémoniques comme Marvel au cinéma ou Assassin's Creed dans le jeu vidéo, qu'on consomme plus parce qu'on a envie d'aimer de croire à l'idée - un univers persistant au cinéma en mode chorale où cohabitent des dizaines de personnages récurrents pour l'un, une exploration historique dans la peau de personnages agiles et puissants pour l'autre - que parce qu'on y trouve réellement ce qu'on y cherche). Pourtant, l'idée derrière Pearl m'a séduit, je le reconnais : X et Pearl partagent un univers, ont été tournés en même temps et forment donc un continuum thématique très marqué. Dans un genre aussi codifié et traversé par la symbolique que le slasher, le parti pris est très intéressant.
C'est délirant de commencer Pearl, qui s'ouvre sur un registre complètement opposé à celui de X : le personnage de Pearl, antagoniste de X, est ici jeune et apparemment innocente, elle danse et vit une vie d'image d'Épinal dans sa ferme familiale, tandis que les crédits d'ouverture sont stylisés d'une manière évoquant l'âge d'or d'Hollywood. X s'ouvrait sur une scène de meurtre, Pearl ressemble à une comédie musicale. Pearl, le personnage, porte dans cette scène une salopette similaire à celle que porte Maxine, l'autre personnage incarné par Mia Goth dans X, dans la même grange que X. La grange et la salopette, dans X, sont le décor et le costume de la scène pornographique où joue Maxine. Cette symétrie délibérée crée un décalage profondément cynique qui n'existe qu'en mettant les deux films en miroir.
On retrouve les lieux iconiques de X : la grange, l'étang, la ferme et sa salle à manger, la cave. Même certains objets iconiques font leur retour, comme la fourche à foin que l'on voit dans X. Voir Pearl après X, dans l'ordre de parution, c'est relire les événements de X en sachant que les événements de Pearl ont eu lieu. Et le fait que les tournages ont eu lieu en même temps accentue cette symétrie.
Là où X oppose une génération libertaire et une marchandisation de la sexualité à la libido frustrée du puritanisme, Pearl oppose l'individualisme forcené et ingrat du rêve américain (inversé dans les rêves d'une Europe qui danse chez Pearl) à une mère à la vie empêchée par le devoir familial, empêchement qui devient souffrance et haine dans le regard méprisant de Pearl qui se rêve en une star. Hypocrisie puritaine et individualisme libertaire sociopathe finissent fusionnés dans ce personnage abominable, certes parce qu'il tue, mais surtout parce qu'il éprouve, à l'image du modèle sociétal qu'il affectionne, une haine profonde du genre humain. Pearl tue dans sa jeunesse pour échapper à la culpabilité née de son refus égoïste de rendre à sa famille ce qu'elle lui a donné, et parce qu'elle estime que son droit à la liberté et à un destin exceptionnel dépasse toutes les loyautés. Elle tue dans sa vieillesse par jalousie profonde de la vie qui, estime-t-elle, lui a été refusée. X et Pearl racontent tous deux la même illusion empêchée, celle d'une vie facile faite de jouissance dans le luxe et l'admiration, une destinée manifeste confisquée, au choix, par les vieux et leur sens du devoir familial, ou par les jeunes et leur morale dissolue qui leur permet toutes les compromissions. Enfin, confisquée par les autres quoi. Pourtant, dans X, c'est Pearl qui, vieille dame, harcèle sexuellement Maxine, et dans Pearl, c'est à nouveau elle qui échoue à son audition. Personne ne lui confisque son rêve, c'est juste que ce n'est rien d'autre que ça, un rêve égoïste et irréaliste, une maladie infectieuse et invisible qui contamine et détruit les individus, à l'image de cette pandémie qui frappe le pays pendant Pearl et que sa mère craint qu'elle ne ramène à la maison. Quand la machine à rêves fait oublier aux gens du commun que nous sommes qu'ils ne sont rien d'autre que ça et qu'ils ne seront, à moins d'un gros accident, jamais rien d'autre que ça, alors qu'ils se rêvent en perles, des pierres brillantes nées de la boue, ils deviennent des Pearl : des sociopathes individualistes et haineux prêts à toutes les trahisons et violences pour accomplir leur destinée manifeste.
Et le fait de construire ce personnage dans deux films qui se répondent, à deux époques et âges différents, c'est une belle idée qui évite le manichéisme et donne à Pearl, le personnage, une coloration tragique et pathétique, lui donne un visage humain, là où d'autres tueurs de slasher sont plutôt des avatars du mal à peine incarnés (ce qui est choix différent mais tout aussi défendable). Et Mia Goth y est pour quelque chose, avec un jeu vraiment marquant.
Le procédé est extrêmement simple, à l'image d'ailleurs d'une mise en scène très économe de moyens, mais fonctionne terriblement bien, Ti West ayant compris que jouer avec la symétrie entre plusieurs oeuvres était un moyen extrêmement efficace pour fasciner. Ce qui est d'ailleurs une constante du slasher, où une même oeuvre passe entre mille mains et devient une copie d'une copie d'une copie, ce qui incite à la comparaison et à la relecture. C'est juste qu'ici Ti West a fait ça de manière très consciente et construite, et je trouve ça vraiment amusant.
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Créée
le 22 janv. 2023
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