Quintessence du cinéma de Sammo Hung et d’une certaine idée du cinéma martial HK lorsqu’il était encore pondu seulement pour les Hongkongais, "Pedicab Driver" mélange tout ce que le petit gros bondissant affectionne avec une générosité radicale qui pousse le film vers sa référence absolue. Un film comme on n'en verra plus jamais certainement.
En apéritif, une première demi heure extrêmement chargée en action de haut vol propose une rixe monstrueuse entre clans de taxis à vélos adverses où déjà l’humour, par bribes mais poussé, dans la parodie notamment avec ce combat de néons en guise de sabres lasers, et la violence sadique poussent à espérer un spectacle hors norme. Une poursuite impressionnante ensuite, voiture contre le taxi-tricycle de Sammo, se termine dans une salle de jeu où le combat le plus énooooorme de tout le kung fu HK va se dérouler : rien de moins que Liu Chia Liang contre Sammo. Dommage, c’est assez court et sans enjeu mais un combat qui, s'il mérite son statut culte rien que pour les deux plus grands chorégraphes qu’il met face à face, est aussi d’un niveau technique et dynamique qui frise le nirvana martial. Que ce soit au bâton ou à mains nues, la maîtrise, le montage, la douleur chère à Sammo, l’humiliation physique, la violence des coups, l’efficacité et la célérité même de la scène n’ont que peu d’égal. Il faut dire que l’équipe de "Pedicab Driver" réunit toute la famille martiale de Sammo au moment où ils se connaissent tous parfaitement et sont au sommet de la connaissance de leur travail.
Et les atouts de Sammo et son équipe ne s’arrêtent pas au combat comme en attestent ses autres perles tel le précédent "Prodigal Son". Encore une fois, Sammo parvient à mélanger comme personne la comédie entre amis, la romance rose bonbon familière aux hongkongais et un basculement dramatique et violent poussé à l’extrême limite de la cat III. Rarement il nous aura offert une double romance aussi porteuse vers son final. Il reprend ici ses thèmes les plus forts, la cellule familiale, la vie de petites gens dans les conditions difficiles d’avant guerre, la force de la solidarité qui s’exerce même entre rivaux d’un même métier (les deux bandes de taxis se respectent au final), le monde des prostituées et des maquereaux qu’il avait déjà abordé non sans douleur dans son premier film "Le moine d’acier".
Une simple et mignonne double romance donc, triangle naïf entre le vieux boulanger, le gentil chef des taxis et la charmante boulangère d’un côté et le beau jeune homme et la femme secrète de l’autre qui semblera peut-être naïve et doucement mielleuse, mais qui s’avère beaucoup plus probante que dans tout autre actioner martial, en premier lieu parce que tout le monde sur ce tournage forme une famille très proche où l’amitié se ressent directement à l’écran, complétée par de nombreux caméos amicaux.
Sammo dirige son histoire avec une certaine finesse qui ne délaisse pas les seconds rôles, une mise en scène adéquate, épurée, avec de jolis décors de rues pavés et de vieilles maisons en pierres réalistes pour l’époque d’avant-guerre traitée, sans oublier la clef de voûte de son style, le mélange du drame et de l’humour avec une alchimie unique. Qui peut se targuer de garder autant d’humour au coeur des scènes les plus dramatiques soient-elles ?...
Dans le même temps forcément, l’action pure est absente du coeur du film, mais la finalité de cette double romance n’aura pas été vaine voire bouche-trou. Même si l’effet peut sembler peu subtil, cette force primaire fait justement toute la saveur du cinéma de HK en général et de Sammo en particulier. Ainsi, lorsque "Fatty" débarque dans la villa pour le final, au moment où Lau Chau Sang sort fumer sa petite clope tranquille, le kick absolument monstrueux qu’il se prend en pleine face sonne le départ d’un sublime parfum de vengeance brutale et d'un final d'anthologie.
Un final jouissif rempli de colère, où Billy Chow n’est pas le seul à offrir un énorme morceau. Les combats sont malheureusement assez courts et au nombre de 4 en tout (2 au début, 2 à la fin), mais tellement furieux. J’irais jusqu’à dire que les combats de "Pedicab driver" atteignent un à un le niveau du final de "Dragons forever", technique mise à part. Il faut ajouter la superbement testostéronée sonorisation des coups et une musique de Lowell Lo qui, pour une fois, propose du traditionnel pas trop culcul et des nappes de tension qui sortent vraiment du lot. D’ailleurs, Lowell Lo remportera le prix de la meilleure musique originale au 9ème HK Film Awards pour son thème principal : "Pang Jeuk Oi", littéralement "Relying on Love".
Une merveille. Vivement une édition ultime, qui se fait toujours attendre.
ps : version longue de cette critique ici. Oui là, c'était la version courte...