Tourné illico-presto pendant la post-production de Ready Player One, Pentagon Papers a un peu la malchance de passer pour une parenthèse vite empaquetée pour le grand réalisateur Steven Spielberg, en particulier aujourd'hui où une partie assez négligeable du public s'accorde à dire qu'il n'a plus la fougue d'antan (ce qui est faux, Spielberg n'ayant simplement plus rien à prouver en ayant fait le tour de toute ses obsessions d'auteur, sa seule occupation est donc tout logiquement le devoir de mémoire, le progrès technique ou plus naïvement l'amusement de pouvoir réaliser ce qui lui plaît). Surtout que l'apport féministe contenu dans le film ne paraît pas innocent au vu de la période actuelle.


C'est donc un nouveau projet dans la lignée du cinéma "sérieux" (j'aimes pas ce terme) de Spielberg, plus dans la tranche Le Pont des Espions que s'inscrit Pentagon Papers retraçant la bataille journalistique du Washington Post pour publier les papiers du Pentagone qui révélaient au grand jour les magouilles du gouvernement U.S sur la Guerre du Vietnam. La grande honte de l'Amérique est montrée avec culot comme ayant été non-seulement provoquée pour satisfaire l'opinion publique anti-communiste mais en plus inutile, gourmand en vies humaines et perduré inutilement pour une banale histoire de "Je ne baisserai pas mon froc !" (ah bah désolé mais c'est le terme qui convient).


Mais plus qu'une histoire dénonçant une fois de plus la gaminerie politique de l'Oncle Sam, Pentagon Papers est aussi un film sur le journalisme. Ce n'est pas pour rien qu'il est nommé le Quatrième Pouvoir, car il est capable de renverser des nations, d'influencer l'opinion de la population, de permettre des voix d'êtres entendues (et aussi ironiquement de diffamer, en particulier à l'heure d'aujourd'hui, mais je m'égares). Quel que soit le message à faire passer, la liberté d'expression ne doit pas être muselé parce que le pouvoir en place, en particulier quand il se vante fièrement d'être le pays de la liberté et de surcroît le plus puissant du monde, ne devrait pas avoir à cacher ses erreurs mais de les assumer. Car si sa population ne peut pas lui faire confiance, pour quelle raison chanterait-on God Bless America avec joie devant la bannière étoilée ? Parce qu'il fait un caca nerveux en mode "Mais parce que eux ils disent des trucs pas gentils sur moi !" ?
(là encore je m'excuses mais c'est le terme approprié).


C'est donc dans ce cadre dont plusieurs messages font écho aux événements que nous vivons actuellement que Steven Spielberg nous montre une fois de plus qu'il est un maître maniant avec expertise son sujet.
Les mouvements de caméras sont fluides, exploitant parfaitement les décors, combinant avec expressivité le talent de ses interprètes qui n'a rien non plus à prouver de ce côté-là.
Tom Hanks, second interprète de Ben Bradlee après Jason Robards dans Les Hommes du président, incarne une figure plus crue et rentre-dedans qu'à l'accoutumée mais toujours avec autant de calcul et de capital sympathie. Capable de mettre à répétition les pieds sur la table au propre comme au figuré (et là-dessus les tables faut quand même les nettoyer) mais gardant toujours en tête l'objectif le plus important. Bourrin mais journaliste au plus profond de l'âme.
A l'inverse mais non sans talent comme d'habitude, Meryl Streep joue la célèbre Katherine "Kay" Graham avec la sensibilité qu'on connaît à l'actrice qui ne l'empêche pas d'être passe-partout en y apportant toujours sa sensibilité qui nous attache à elle et aux causes qu'elle défend.


Ironiquement ce personnage qui amène le côté féministe du film à travers des scènes que d'aucun diront obligés mais tout de même ciblées


(genre les scènes où seul des femmes l'accueillent sur un escalier puis seulement des hommes de pouvoir, ou une autre où elle discute avec une secrétaire. Ce n'est pas lourd mais on sait où ça veut mener et quand on le sait, c'est bien connu, ça dérange).


Sur ce point, la première scène entre elle et les financiers est bien plus parlante.


Nous montrant une Kay Graham ayant du mal à parler à voix haute.


Pas d'artifice, juste le talent de son actrice et qui plus est complètement raccord avec le thème de la liberté d'expression. Sur un autre point, la scène où


elle se plaint que l'on parle de la mort de son mari (et donc de facto son arrivée à son poste de prestige) comme d'un accident.


Bien plus subtil et propice à la réflexion qu'un plan où un gars l'empêche de se lever au bon moment pour un discours.


Mais cette facette du film est mineure comparée aux autres dans ce film. Le cœur de Pentagon Papers se trouve dans sa réflexion sur la retranscription journalistique (et humain en général) d'un événement et par quels moyens cela peut être muselé par le mal. Un thème plus qu'aujourd'hui d'actualité (en particulier maintenant avec les réseaux sociaux, même si l'on ne se concentre pas ici sur un emballement médiatique mais sur son absence de nouvelle).
Car une vérité nécessitant obligatoirement la transparence et l'accord d'honnêteté entre le journaliste et le lecteur peut facilement être remis en cause pour ne devenir que de la simple diffamation par l'absence de source adéquate ou quand cette dit honnêteté est troublée par des liens intimes avec les personnes concernés par une nouvelle (alors que les journalistes et les politiciens entretiennent des rapports privilégiés). Tout comme cette vérité peut être tempérée si elle n'est pas gérée avec doigtée (mais sans être édulcorée) au vu des répercussions énormes qu'elle peut avoir. Le sujet est tout trouvé, car l'annonce d'une guerre inutile possède l'effet d'une bombe comme nous le montre la caméra. Au-delà des rivalités entre journaux (le New York Times et le Washington Post), Pentagon Papers nous montre aussi que la vérité est un caractère sacré qui nous touche tous et qui nous fédère tous lorsqu'il est remis en question et qu'il nous doit de réagir pour sa survie, en commun.


La réponse que Steven Spielberg nous donne à tout cela est pourtant des plus simples: Rester intègre, respecter la liberté d'expression et surtout respecter la vérité des faits quelque soit les enjeux si cela est le plus juste (pas seulement si elle nous le paraît, seulement si elle l'EST).
On pourra toujours dire que c'est naïf étant donné l’imbroglio compliqué que représente la politique et l'embrasement que peut avoir l'opinion publique devant une nouvelle, mais n'est-ce pas justement parce que la réponse est naïve qu'elle peut s’avérer être la bonne ?


Pentagon Papers peut éventuellement être considéré comme un film mineur dans la filmographie de Steven Spielberg. Mais il est en revanche un film majeur pour l'apport d'une nouvelle pierre sur l'édifice du devoir de mémoire en ce qui concerne les valeurs à défendre sur la communication et les injustices d'état (le féministe on va dire que c'est un bonus, c'est pas comme si on allait s'en plaindre).
En attendant Ready Player One qui apporte un peu de légèreté, on peut se revoir l'inoubliable et tout autant maîtrisé Les Hommes du président d'Alan J. Pakula moins parlant sur l'intégrité journalistique mais tout autant sur la nécessité de retranscrire des faits véridiques.


Et puis bon, ce plan final, Spielberg nous invite carrément à le revoir.

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le 1 févr. 2018

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Housecoat

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