Ce documentaire réalisé par un biologiste, c'est un peu le contre-exemple d'une règle, ou du moins la démonstration qu'une condition est nécessaire mais pas suffisante, en matière de tournage et de formulation d'un témoignage. Dans cette catégorie de non-fiction, j'ai toujours eu la sensation que les très belles réussites tenaient en partie au fait que les personnes impliquées avaient passé beaucoup de temps en compagnie de leurs sujets, sur plusieurs années, sans que cela ne soit pour autant ostensiblement montré à l'écran. L'exemple le plus emblématique de cette disposition, en tous cas celui qui me revient le plus fortement en mémoire, c'est sans doute "Life of Crime" de Jon Alpert, dont l'action s'étalait sur près de 40 ans.
Dans "People of a Feather", Joel Heath a passé pas moins de 7 hivers dans les îles Belcher, situées dans l'arctique canadien au niveau de la baie d'Hudson, en compagnie d'une famille inuite vivant à Sanikiluaq. Une partie du film est consacrée à la vie forcément particulière dans ce coin du monde, partagée entre traditions (culinaires, professionnelles, culturelles au sens large) de l'ancien temps et éléments d'une modernité banale (appareils électroniques, musique, habitats). Lors d'une séquence, on pense forcément à "Nanook of the North" avec une caméra placée au centre d'un igloo dont l'une des briques est faite de glace plutôt que de neige pour laisser rentrer la lumière, ainsi que d'autres séquences recréant la vie traditionnelle mise en scène. Mais le cœur du docu porte sur une espèce particulière d'oiseaux, les eiders, des canards migrateurs dont la plume est la plus chaude au monde.
Ces plumes, que les oiseaux utilisent pour confectionner leurs nids, est également un moyen de subsistance essentiel pour les Inuits puisqu'elles sont la base de nombreux vêtements et couvertures — et accessoirement d'un instrument de musique. Et la problématique arrive très vite : suite à la construction d'immenses barrages hydroélectriques dans la région, servant à alimenter de grandes villes canadiennes jusqu'à New York, des changements majeurs ont été provoqués sur les courants marins et sur la banquise, mettant en péril la survie de l'espèce. Ou comment bousiller un écosystème, faute d'études d'impact rigoureuses. Pour autant, malgré la profusion de belles images et de captations insolites (beaucoup de séquences observent l'eider dans son habitat, plongeant pour se nourrir d'oursins ou luttant contre des courants et des formations de glace inhabituels), "People of a Feather" reste largement en-dessous de ce que le sujet et les conditions de tournage auraient pu laisser espérer. Il n'y a pas vraiment de génie dans la conscience documentaire, disons. Intéressant sur beaucoup de points factuels, mais décevant d'un point de vue cinématographique.