Un film qui commence par une chanson - et l'une des meilleures, "Entrez dans le rêve" -, de Manset, ne saurait être mauvais. Pourtant, n'en déplaise à ses nombreux thuriféraires, "Perdrix" ne finit pas très loin de la médiocrité : si l'on ne sort pas de là avec une impression trop accablante d'échec, c'est sans doute que, tout simplement, notre coeur d'artichaut reste sensible aux charmes de l'éternel "Boy Meets Girl", décliné ici de manière faussement conventionnelle mais en fait profondément conformiste, avec deux acteurs (Maud Wyler et surtout Swan Arlaud) auxquels on arrive à s'accrocher, malgré la déroute progressive d'une histoire qui fait la maligne et nourrit le film de birarreries drôlatiques, dont Erwan le Duc ne sait que faire...


Il faut dire à sa décharge que la comédie romantico-familiale neurasthénique est un genre littéralement impossible, que seul un pur génie comme Wes Anderson maîtrise de nos jours. Et que, faute de savoir nous faire plus que sourire, voire - et c'est très laid - ricaner devant les déboires de héros ordinaires apathiques et tristes, le Duc nous offre en fait un simple catalogue de dépressions, dont l'accumulation finit par plomber définitivement l'ambiance. Il faut rappeler aussi que le succès d'une comédie, qui plus est si elle joue sur l'absurde, repose avant tout sur la combinaison magique d'une direction d'acteurs chirurgicale et d'un sens du rythme impeccable, deux qualités que le Duc ne semble guère avoir. Si l'ajoute qu'on saisit très vite que rien de ce qui se passe à l'écran n'a véritablement de réalité, que rien de grave ne peut réellement arriver - et on jurerait que le Duc le sait et le veut ainsi, puisqu'il l'illustre avec sa sinistre et pas drôle reconstitution historique d'une bataille où Nazis et Français sont interchangeables (!) et où mort et souffrances n'existent pas -, l'ennui guette.


Perdrix reste donc du "tout petit cinéma d'auteur", clairement trop ambitieux par rapport au talent général à l'oeuvre ici (un réalisateur qui fait le malin mais réussit à rendre Fanny Ardant fade et irritante n'a à notre avis pas grand avenir...), il reste au moins à l'écran la beauté sombre des Vosges, lieu vraiment cinégénique et pourtant peu filmé, et l'ennui dérisoire des petites villes françaises où la vie a de plus en plus de mal à palpiter...


Ça nous ira comme ça, pour cette fois.


[Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
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le 15 août 2019

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Eric BBYoda

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