"Frustré, mais dans le bon sens du terme"

Ça démarre sur des chapeaux de roues, à l'instar de la voiture d'un orange criard que se fait voler Julie en pleine forêt : une fille nue s'en est emparée. Juste après, un char vient se positionner devant la gendarmerie de ce village des Vosges, tout est normal. A l'intérieur, ça glande ferme, sous les ordres de Pierre Perdrix, capitaine de son état. Peu de temps après avoir déposé plainte, Julie toque à la porte des Perdrix. Elle s'invite à leur table et s'installe chez eux, façon madame-sans-gêne. Pierre, lui, est fasciné par cette liberté qui ne consiste pas, comme il le concevait jusque-là, à adhérer à la nécessité.

Les Perdrix, ce sont de drôles d'oiseaux.

Thérèse, la mère (Fanny Ardent, qui fannyardente plein gaz) enregistre depuis son garage des émissions de radio sur les traces de Macha Béranger ; comme elle n'a pas d'auditeurs, ce sont ses fils qui se relaient pour l'appeler. Elle écoute les peines de cœur mais ne se remet pas, elle-même, de la perte de son homme à 44 ans : elle continue à fêter son anniversaire en s'adressant à son portrait, lui écrit des lettres d'amour qu'elle demande à ses fils d'aller lire sur sa tombe. Parallèlement, elle multiplie les aventures puisque, n'ayant plus son homme, "autant avoir tous les autres". Mouais. A son micro, Thérèse plaide pour le grand amour, alors que Julie, qu'elle a prise en ligne, semble allergique à l'aventure. C'est une mère excentrique, qui répond "dans ton cul" lorsque son fils lui demande où est sa combinaison.

Julien, le frère de Pierre (Nicolas Maury, délicieux) est géodrilologue. Vous ne connaissiez pas, moi non plus, le film nous instruit : ce sont les spécialistes des lombrics. Il répète dans sa chambre le speech qu'il doit faire devant la classe de sa fille. Le moment est savoureux : au milieu d'un lac, il explique en quoi ces animaux hermaphrodites sont un maillon essentiel du vivant (vrai). Les élèves sont blasés, alors que la prof grille une clope. En grand naïf attachant, Julien achève son speech par une harangue à son auditoire : "bon, qui parmi vous, se destine à être géodrilologue ?". Avant de tancer vertement cette population qui n'a d'autre ambition que d'exister sur les réseaux sociaux. Il a quelque peine à admettre que son domaine ne passionne pas l'ado moyen.

Marion, progéniture de ce Julien pas piqué des vers, déteste que ce dernier l'appelle marionnette. Et pour cause : elle le dira à son père, elle l'aime mais n'a pas envie de devenir comme lui, savant fou enfermé dans sa spécialité. Elle s'imagine plutôt championne de tennis de table. Pour avoir la paix, elle a enregistré ses séances d'entraînement dans sa chambre : elle peut ainsi remplir sans éveiller l'attention un dossier d'inscription pour l'internat de "Notre Dame de la Persévérance".

Toute la famille se retrouve dans une salle de bain captée du couloir comme une lucarne, pour se laver les dents ou pisser dans la douche. C’est aussi une famille où l’on n’arrête pas de se demander si ça va. Presque un running gag.

Bien que très spéciale donc, la famille "Bizarro", comme la nommera Julie, reste pourtant abasourdie devant cette bombe non sexuelle qui leur raconte comment elle a demandé son "émancipation" à ses parents, pour couper tout lien avec eux. La scène est bien filmée, alternant en champ/contrechamp la jeune fille fantasque et la famille muette en plan fixe autour de la table. L'idée ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde, Marion ayant des velléités de fuir le carcan paternel. Pierre, lui, est sous le charme de cette incarnation pure de la fantaisie. Tout ce qui lui fait défaut.

Autour de ce noyau gravitent tout un tas de personnages loufoques. Une horde de nudistes retranchés dans les bois dépouillent du superflu ceux qu'ils croisent. Michel (Alexandre Steiger, parfait), l'un des collègues et ami de Pierre, homosexuel éconduit par notre héros, se met à nu pour interroger un des suspects qui l'exige. Avec ses collègues, ils se livreront à un portrait psychologique de leur capitaine autour d'une table : "tu es un frustré, mais dans le bon sens du terme" lance Michel toujours nu. Quant au char, il était destiné à une reconstitution de bataille entre les armées française et allemande - l'un des gendarmes a bien du mal à faire la distinction entre militaire allemand et "nazi". Julie et Pierre, qui se trouvaient au mauvais endroit, se font engueuler car ils détruisent le réalisme de la reconstitution... avant que l'officier allemand ne retrouve ses collègues ennemis et plaisante avec eux. Savoureux.

Tout ça part un peu dans tous les sens mais s'enchaîne avec suffisamment de bonheur pour qu'on adhère. Le couple fait merveille : la méconnue Maud Wyler pétille (un peu dans le registre d'une Vimala Pons), et Swann Arlaud traduit très bien tous les états émotionnels de son personnage. Le couple en devenir existe, sur fond de bizarreries tous azimuts.

La difficulté pour ce genre de cinéma, c’est de tenir sur la durée. Se renouveler, ne pas lasser, faire évoluer l’humour. C’est là que le bât va blesser : dans sa deuxième heure, le film se gâte sérieusement. La pochade burlesque vire à la comédie romantique des plus convenues.

Julie qui a tiré avec l'arme de Pierre se retrouve menottée puis relâchée puisque le capitaine endosse son geste (comme si un gendarme pouvait tirer à volonté sur un fuyard...). S'ensuit une scène dans une fête où Julie fascine Pierre façon West Side Story, puis une escapade à la pleine lune dans les bois (très cinégénique mais trop longue)... La jeune femme a revêtu une robe rose qui la fait ressortir, traduisant le regard de celui qui n'a plus d'yeux que pour elle. Les deux se rapprochent peu à peu, jusqu'au dénouement : Pierre rattrape Julie avec son VTT à travers bois, baiser sanguinolent, amour. Retour à la maison où Julien s'est réconcilié avec sa fille, après passage tout aussi sanguinolent par un trou en forêt. Sirupeux. Et assez peu fécond, car que nous dit le film au juste, si ce n'est qu'il faut savoir sortir d'une posture égotiste pour rencontrer l'autre (Julie), oser se libérer de ses carcans (Pierre), être à l'écoute de ses enfants (Julien) et savoir faire son deuil d'un grand amour (Thérèse) ? Une morale assez gnangnan.

Etrange film qui commence survitaminé et s'achève dans un épilogue des plus rebattus. On pense aux frères Larrieu, à Antonin Peretjako, à Quentin Dupieux, à Sophie Letourneur, en moins cohérent, moins maîtrisé, plus maladroit. Reste un film plutôt attachant. "Sympatoche", dirait Pierre Murat.

6,5

Jduvi
7
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il y a 5 jours

Jduvi

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