Harcèle-moi si tu veux
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le 27 mars 2014
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Après avoir succombé au charme vénéneux et troublant de Perfect Blue, il est impossible de ne pas éprouver un énorme pincement au coeur, une tristesse insondable, ou encore un sentiment de révolte.
Car Satoshi Kon, fauché beaucoup trop tôt et de manière injuste, trouvait là une première occasion de se distinguer, d'imposer un imaginaire terrassant, dérangeant, multiple. Aussi froid et immersif que réjouissant. Et mis en scène de manière incroyablement habile, chirurgicale et inspirée.
Le bleu utilisé ici est, à coup sûr, loin d'être une couleur chaude.
Il habille la fragilité et l'immaturité d'une jeune marionnette, perpétuellement cernée, qui évolue de manière hésitante entre son statut d*'idol* éphémère caractéristique du star system japonais des lolitas offertes aux fantasmes, aux fans versatiles qui aiment un jour pour mieux dénigrer le lendemain.
De la chanson à la comédie, d'un succès au final assez underground aux preuves qu'il faut faire dans un milieu inconnu, Mima hésite. Mima se renferme et devient prisonnière des choix qui, d'évidence, ne sont pas les siens.
Malgré ses vingt et un ans, Mima semble encore une adolescente, comme l'exprime sa minuscule chambre constellée de bibelots, de peluches et de menus souvenirs, dans laquelle elle se réfugie une fois les spots de ses concerts éteints. Mais c'est dans ce qui semble être un lieu de réconfort et de sécurité que la descente aux enfers s'initie. C'est dans ce lieu intime que le thriller psychologique se dessine. Dans la répétition d'une mise en scène millimétrée qui hache la réalité en l'entremêlant d'un surréalisme oppressant. Dans la menace représentée par un fan étrange et omniprésent perçant sa vie privée. Dans un feuilleton abolissant la frontière entre la réalité et la fiction en train de se tourner sous l'oeil de caméras complaisantes.
L'identité de Mima se dilue, tandis que les miroirs lui renvoient son image de chanteuse fraîche, prude et idéalisée. Alors que cette dernière aspire à grandir et à se libérer du poids de l'identification gangrénant la vedettariat. A se libérer de ses doutes et des orientations d'une carrière incertaine
La violence de ces aspirations oscille entre meurtres, tournage d'une scène extrêmement crue loin d'être atténuée par l'aspect "simulation" et une séance photos plus que suggestive, le tout aux accents giallo. Précipitant la toute jeune femme dans une crise identitaire des plus vertigineuses, qui verra son reflet s'animer et la poursuivre en plus d'une occasion. Le temps d'une réalité de plus en plus froide et opaque, Satoshi Kon distille, dans son Perfect Blue qu'il tient d'une main de maître, une tension des plus palpables et inconfortables, tandis que Mima perd de plus en plus pied et que son identité la plus intime se dérobe à sa raison.
Le réalisateur virtuose se joue de ses propres images afin de tromper nos certitudes, casse subitement le rythme de ses séquences, les répète et les mélange pour accentuer l'inconfort. Il se confronte à l'aspect cru du délire et du fantasme, à la manière d' Hitchcock, Brian De Palma ou de David Lynch. Pour mieux, en guise de postérité de son exploration de la psyché ou de son goût pour tordre la perception du temps et de la réalité, nourrir d'autres étoiles comme Nolan ou Aronofsky.
Satoshi Kon était un artiste précieux. Tel une étoile filante, il a zébré nos cieux cinéphiles d'éclats brillant d'une intensité des plus rares et chatoyantes. Sa première couleur était le bleu, juste rehaussé d'une goutte de rouge sang. Dans une réflexion sur le pouvoir des images (dans tous les sens du terme) préfigurant dans un élan contradictoire et fascinant le magique et sentimental Millennium Actress et l'incroyable Paprika presque dix ans plus tard.
Aujourd'hui, Satoshi Kon vit encore, même si c'est seulement en nos coeurs émerveillés. Même s'il n'aura fait qu'effleurer cet imaginaire que l'on devinait à nul autre pareil. Sans limite, sans frontière.
Behind_the_Mask, man in the mirror.
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le 28 avr. 2018
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